Commission pour la Protection des Indigènes

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Organisme qui conseillait les autorités coloniales belges en matière de « politique indigène », la politique concernant la population congolaise. Elle a exercé son activité de 1908 à environ 1957.

Historique, mission et fonctionnement

La Commission pour la protection des indigènes de 1908 n’était en aucun cas une nouvelle initiative. Léopold II, qui possédait personnellement le Congo avant qu’il ne soit la propriété de la Belgique, avait créé en 1896 une Commission du même nom. Cette dernière n’était en premier lieu qu’un coup de propagande visant à contrer les accusations d’exploitation abusive de la population congolaise par Léopold. Néanmoins, la Commission, qui n’existait que sur le papier, n’a abouti à rien. À la suite de nombreuses controverses, particulièrement au sujet de l’exploitation du caoutchouc, la Belgique pris possession du Congo en 1908.


Bien que l’année 1908 était présentée comme un nouveau départ pour la colonie, il y eut beaucoup de continuité en ce qui concerne les ressources humaines et la politique. Le rétablissement de la Commission s’inscrivait dans ce cadre. Tout comme par le passé, la Commission était composée d’une représentation plus au moins égale de l’état, des missionnaires et du patronat colonial sous la présidence du procureur général de la Cour d’appel de Léopoldville. Même si elle s’inscrivait également dans le discours colonial officiel sur la « mission civilisatrice belge », la Commission n’était rien de plus qu’un organe de propagande. Son rôle était de conseiller les autorités coloniales sur la politique indigène à l’égard de la population congolaise. Du point de vue des colonialistes, l’objectif de cette politique était de s’assurer que la population congolaise puisse participer le plus possible à la « civilisation et au développement économique de la colonie ». Dès lors, la Commission offrait un aperçu de la « progression » des Belges à cet égard, des problèmes qu’ils rencontraient et de la façon dont ils les réglaient.


La Commission à proprement parler n’était ni un organisme scientifique ni un institut de recherche : elle n’effectuait aucune recherche en tant que telle et ne publiait aucune étude. Cependant, elle fournissait énormément d’informations sur le Congo et sur la population congolaise. Les discussions des Commissaires reposaient en grande partie sur des observations et sur des expériences directes, ainsi que sur des publications, sur leurs propres études et, occasionnellement, sur des rapports d’autres institutions coloniales et sur des statistiques rassemblées par les autorités. Les conclusions des discussions étaient rassemblées dans des rapports publiés dans le Bulletin Officiel du Congo belge. Ces derniers n’étaient donc pas seulement une source d’informations pour les autorités, mais également pour tous les colons.

Composition

La Commission organisa sa première réunion en 1911 et sa dernière en 1957. Cette longue période d’existence ne lui permit pas de compter des Commissaires permanents. Elle était donc composée d’un groupe de membres temporaires. En règle générale, les Commissaires étaient des missionnaires, des représentants d’entreprise et des administrateurs très impliqués dans l’administration, l’enseignement colonial et les services médicaux. On pouvait qualifier plusieurs de ces membres de « missionnaires-scientifiques ». Certains Commissaires étaient des scientifiques au sens strict du terme : Alphonse (Jérôme) Rodhain était spécialiste des maladies tropicales, et d’autres membres, comme Léopold Mottoulle, étaient médecins du travail. En 1923, une sous-commission pour la province du Katanga fut créée. Divers membres, dont des médecins, des missionnaires, des administrateurs et des magistrats, se penchèrent sur des questions concrètes, comme les coutumes et langues indigènes, et sur des questions administratives, et en firent également des publications.


La composition de la Commission s’étendit pendant et après la guerre. À partir de 1945, la Commission comptait en ses rangs des Congolais, principalement des prêtres et des évolués, des Congolais issus de la classe moyenne, un assistant social et un colon. Malgré tout, les missionnaires catholiques et le procureur général furent plutôt ceux qui continuaient à donner le ton. Après la guerre, les conseils de la Commission eurent moins de portée. L’institution perdit également en influence, certainement en raison d’autres institutions qui se penchaient sur des thèmes similaires, mais qui menaient des recherches plus systématiques et explicites en se fondant sur les sciences naturelles ou sociales, comme le Centre d’études des problèmes sociaux indigènes.


Pourtant, le rôle que jouait la Commission ne perdit pas en importance, car elle mettait en évidence la détérioration des conditions de vie de la population, en particulier pendant la seconde guerre mondiale et juste après, quand le Congo belge continuait à être souvent décrit comme « colonie modèle ».

Thèmes traités

La Commission se penchait sur des thèmes tous aussi différents les uns que les autres relevant de la « politique indigène », de l’alcoolisme oudes « mœurs ». Ces thèmes peuvent être répartis selon les domaines suivants :

Connaissances médicales, hygiéniques et démographiques
En 1919, la Commission avança une affirmation incroyable : depuis le début de la colonisation en 1855, 50 % de la population congolaise avait « disparu ». Elle attribua ce « dépeuplement » à une association de facteurs tels que les maladies, le manque d’hygiène, l’« immortalité » et l’activité économique coloniale. Les Commissaires distinguaient les maladies « indigènes », comme la maladie du sommeil, des maladies que l’on pensait avoir été introduites par les Européens, comme le typhus. Ils pensaient également que la pression ressentie par la population indigène, poussée à la production et au travail au profit des colonisateurs, avait des conséquences néfastes sur la démographie. De plus, ils étaient persuadés que les changements apportés par le colonialisme perturbaient les comportements reproductifs et fragilisaient la stabilité familiale. Les données statistiques sur lesquelles cette affirmation reposait étaient incomplètes et discutables, mais le rapport de la Commission suscita tout de même la panique.
Les propositions de la Commission gravitaient autour de l’amélioration du taux de natalité et de la diminution du taux de mortalité. La Commission prônait une approche complète fondée sur une activité économique réglementée, des conditions de vie et de travail plus hygiéniques et de meilleurs processus de recrutement. Elle insistait également sur les « questions morales » qu’elle croyait susceptibles d’influencer la fertilité et le taux de natalité, tels que le mariage monogame, les familles nombreuses stables, les soins de santé materno-infantile, et la lutte contre la polygamie et l’alcoolisme.


Coutumes, culture et droits des populations indigènes
Des Commissaires individuels, comme l’administrateur Alphonse Engels, décrivirent les coutumes de certaines populations congolaises. Le procureur général Antoine Sohier était expert en droit coutumier des indigènes. La Commission elle-même discutait principalement des relations entre les cultures, coutumes et droits congolais et européens. Elle envisagea, par exemple, un système d’« immatriculation » permettant aux Congolais dits « hautement civilisés » de jouir des droits civils européens à la place du droit coutumier.


Économie, activité industrielle et agriculture
La Commission ne se souciait pas seulement des circonstances hygiéniques et familiales et des conditions de vie et de travail des travailleurs congolais dans les entreprises industrielles. Elle se souciait également de leur recrutement et de leur migration. Elle fit partie des premiers organismes à mettre en garde contre les conséquences d’une industrialisation poussée et rapide. La Commission plaidait également en faveur d’une réévaluation et d’une protection de l’agriculture indigène et ce, avant 1939. Après la seconde guerre mondiale, elle soutint ouvertement la politique de paysannat indigène selon laquelle un Congolais pouvait devenir propriétaire d’une parcelle de terrain s’il la cultivait. Tout ceci s’inscrivait dans une optique d’efforts pour relancer l’agriculture indigène.


Enseignement
S’occuper de l’enseignement primaire était une des tâches les plus importantes d’une grande partie des Commissaires, et surtout des missionnaires. À la Commission, ils discutaient du manque de travailleurs professionnels qualifiés et du besoin de développer l’enseignement professionnel. Pendant les années 1950, la Commission n’était pas une grande partisane de l’enseignement supérieur pour les Congolais. À l’époque, le jésuite Jacques Schurmans, futur recteur de l’université Lovanium, faisait partie de la Commission, mais ne participait pas aux discussions. Par conséquent, la Commission n’était pas impliquée dans les discussions autour de l’enseignement supérieur lorsque ce thème était au premier plan, dans les années 1950.
Enfin, la Commission discutait aussi régulièrement de l’infrastructure et de l’administration. Elle se concentrait principalement sur le manque de matériel et sur l’inefficacité de l’administration indirecte. En tant qu’organisme, la Commission n’était pas chargée de dénoncer les crimes contre la population. Quelques membres, comme le Missionnaire du Sacré Cœur, Gustaaf Hulstaert, s’en chargeaient personnellement.


Influence et fin

Bien que tous les conseils de la Commission n’étaient pas suivis, cette dernière jouait un rôle important dans une prise de conscience croissante : dans l’intérêt de la population congolaise, une action large et durable, qui irait plus loin que de se concentrer à court terme sur les gains (industriels) et les innovations rapides, était nécessaire. Ainsi, la Commission a joué un rôle important dans l’extension du regard colonial qui, bien qu’inévitablement,reste très européen. Elle attirait aussi l’attention sur le niveau local et sur l’incidence qu’ont la présence de l’Europe et du colonialisme sur le Congo et sur la population congolaise.

Il n’y a aucune trace d’une dissolution officielle de la Commission. Une Commission qui « était responsable de la protection de la population » n’était vraisemblablement plus jugée utile pendant la décolonisation du Congo, qui a vu le jour en 1957. Plusieurs (ex-) commissaires ont joué un rôle important en dehors de la Commission après 1945. L’ancien procureur-général Antoine Sohier était étroitement impliqué dans les réformes de l’après-guerre. Hulstaert a acquis de la notoriété pour ses études portant sur la culture, les habitudes et la langue des Mongo.

Dates de réunion

1911, 1912-1913, 1919, 1923, 1928, 1931, 1938, 1947, 1951, 1953, 1955, 1957


Membres ayant un passé scientifique

  • Gustaaf Hulstaert : missionnaire du Sacré Coeur, qui étudia la population congolaise, ses habitudes, ses langues, ainsi que ses insectes
  • Alphonse Rodhain: spécialiste en matière de médecine tropicale et de maladie du sommeil
  • Leopold Motoulle: médecin et responsable pour l’entreprise minière de l’Union Minière du Haut-Katanga (UMHK)
  • Emile Toussaint : médecin et responsable du travail indigène pour l’UMHK ;
  • Clement Chesterman : baptiste et médecin
  • Charles Lodewyckx : colon intéressé par l’infertilité féminine.


Bibliographie

Sources

Bulletin Officiel du Congo belge

Références

Blondeel, W., ‘De “Commission Permanente pour la Protection des Indigènes” en het Demographisch Probleem in Belgisch Kongo. De Alarmkreet van 1919’, Mededelingen der Zittingen van Koninklijke Academie voor Overzeese Wetenschappen (1976).

Blondeel, W., ‘Les Missionaires Catholiques et la “Commission pour la Protection des Indigènes” (1896-1923). Genèse de la Formulation d’une Vision Globale sur les “Institutions Indigènes”. Les Positions à l’égard de l’Organisation Familial et le Fetichisme”', L’Eglise Catholique au Zaire. Un Siècle de Croissance (1880-1980) (Kinshasa 1981), 230-260.

Schalbroeck, E., “The Commission for the Protection of the Native Population and Belgian Colonialism”, onuitgegeven doctoraatsthesis, Cambridge 2019.