Des palais dans la jungle ? L’utilité et le prestige des laboratoires tropicaux belges
Temples tropicaux
Les laboratoires, ça en met plein la vue. C’est ce qu’a dû penser le Ministre des Colonies lorsqu’il ordonna, dans les années 30, la construction d’un nouveau laboratoire bactériologique à Léopoldville. Et en effet, avec sa façade immaculée, longue de soixante mètres de long, dotée de trois nefs ; avec son majestueux jardin avant en arc de cercle ; et avec son chemin d’accès rectiligne, le nouveau bâtiment était un vrai joyau architectural.
Photos sur papier glacé
Pour qui ne pouvait venir admirer les laboratoires tropicaux sur place, il y avait d’autres possibilités pour approcher cette grandeur. Les brochures de recrutement du ministère étaient toujours pourvues de photographies sur papier glacé du magnifique Institut Princesse Astrid de Léopoldville, ainsi que d’autres scènes de laboratoire.
D’utiles fleurons
De vraies volières
La réalité était cependant moins glorieuse que ce que les brochures et les expositions pouvaient laisser penser. Tous les services bactériologiques faisaient face à un manque chronique de personnel qualifié. Trop peu de médecins européens et d’infirmiers et infirmières se sentaient appelés par l’aventure tropicale, en dépit des bonnes conditions de travail comme fonctionnaire colonial. Certains directeurs ne s’impliquaient pas pleinement dans leurs tâches, tel le docteur Brutsaert du laboratoire d’Élisabethville, qui combinait ses activités d’agent de l’État avec ses fonctions auprès de l’Union Minière, une entreprise d’extraction. Les membres indigènes du personnel étaient, aux yeux des Européens, tout sauf fiables. Ces laborantins, domestiques, porteurs d’eau, facteurs ou encore vigiles, cessaient brusquement de se présenter au travail ou faisaient défection après quelques temps, de sorte que les directeurs devaient sans arrêt chercher de nouvelles recrues.
Crottes de chauves-souris
Comme la qualité de l’infrastructure des laboratoires tropicaux était de loin inférieure à celle des laboratoires de l’État de la métropole, le travail n’en était que plus difficile. Ainsi, le premier institut bactériologique de Léopoldville avait été établi en de très humbles circonstances. Les murs étaient vieux, dépourvus de ciment, et le toit était composé de tôles ondulées. Les locaux manquaient d’éclairage et d’oxygène, et restaient bien trop étroits. L’eau courante était rare, de sorte que les assistants devaient effectuer eux-mêmes la corvée du portage. Les directeurs tirèrent plus d’une fois la sonnette d’alarme dans leurs rapports. Ainsi, Vandenbrande écrivit en 1927 : « Nous faisons en ce moment de la bactériologie au milieu des poussières de bois et des excréments de chauves-souris. Il est impossible de continuer à travailler dans ces conditions ».[7]
Mais même après que le beau et moderne bâtiment blanc avait été construit en 1936 pour le nouvel institut bactériologique de Léopoldville, son personnel devait faire face à ces problèmes typiques qui rendait sous l’Équateur le travail de laboratoire, et certainement la recherche, bien moins évidente qu’en métropole. La chaleur tropicale de la saison chaude, qui transformait à partir de 11h la bibliothèque et la salle des vaccins en fours et déréglait les appareils de précisions et les réactifs chimiques, constituait un problème que même les ouvertures d’aérations prévues dans la construction ne pouvaient régler Pendant la saison des pluies, pour un peu changer, c’était les caves qui se retrouvaient inondées. Les conduites n’apportaient l’eau que de manière irrégulière, et cela valait aussi pour l’électricité. De plus, les locaux devinrent trop étroit après seulement une décennie, de sorte que le personnel blanc et le personnel noir devaient partager certaines salles – ce qui, à attendre les commentaires contemporains, mettaient en danger la droiture morale des Blancs.
Un point sensible
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- ↑ Laboratoire de Bactériologie de l’État Indépendant du Congo. Source : Mouvement scientifique, vol 2.
- ↑ Citation tirée de : Archives africaines, Fonds Hygiène, 564-567 (4418): Laboratoires 1928-35 correspondance générale (n°1-100): Note du 30 mars 1929 de Schwetz au Gouverneur-général.
- ↑ Citation tirée de : Archives africaines', Fonds RACBGG, (512): Laboratoire de bactériologie et chimie de Léo 1918-1920/ 1923-1925-1938/ 1942/1948, rapport 1949.
- ↑ Citation tirée de : Archives africaines, Fonds Hygiène (4475) 982: Laboratoire d’Élisabethville 1948- 1952.
- ↑ Citation tirée de : Archives africaines, Fonds Hygiène, 794 (4450): Création d’une station biologique au Congo belge 1945: lettres et rapports.
- ↑ Citation de: Archives africaines, Fonds RACBGG (500): Rapport général des laboratoires 1927.
- ↑ Citation tirée de : Archives africaines, Fonds RACBGG, 500: Rapport général des laboratoires 1927.
- ↑ Citation tirée de : Archives africaines, Fonds Hygiène, 982 (4475) Laboratoire d’Élisabethville 1948- 1952, notes concernant le regroupement des bâtiments scientifiques d’Élisabethville.
- ↑ Citation tirée de : Archives africaines, Fonds RACBGG, 500: Rapport général des laboratoires 1927. Vu le mauvais état du document, il n’a pas été possible de reconstituer complètement la citation.
- ↑ Citation tirée de : Archives africaines, Fonds GG, 18304: Laboratoire de bactériologie Léopoldville divers : Note du Dr. Neujean, directeur du laboratoire, ‘Projet d’agrandissement du laboratoire de Léo’ 25 sept 1945.
Archives
- Archives africaines
Littérature
- Donny, Albert-Ernest, ‘La remise à l’État belge du Laboratoire de Bactériologie de Léopoldville’, in: Bulletin de la Société Belge d’Études Coloniales, 17 (1910).
- Richard, ‘Un institut Pasteur à Stanleyville’ in: Bruxelles-Médical. Revue Hebdomadaire des sciences médicales et chirurgicales, 8 (1927), 27 novembre), nr. 4.
- De geneeskundige loopbanen in Belgisch Congo, Bruxelles, 1949.
- Daniel Headrick, The tools of empire. Technology and European imperialism in the nineteenth Century, Oxford, 1981.
- Lyons, Maryinez, The colonial disease: a social history of sleeping sickness in northern Zaïre, 1900-1940, Cambridge, 1992.
- Poncelet, Marc, Nicolaï, Henri, Delhal Jacques en Symoens,Jean-Jacques, ‘Les sciences d'Outre-mer’, in: Halleux e.a., Histoire des sciences en Belgique, 1815-2000, 2, Bruxelles, 2001, 235-265.
- Lagae, Johan, ‘‘Het echte belang van de kolonisatie valt samen met dat van de wetenschap.’ Over kennisproductie en de rol van wetenschap in de Belgische koloniale context’, in: Het geheugen van Congo. De koloniale tijd, Tervuren/Gent, 2005.
- Baetens,Roland (red.), Een brug tussen twee werelden: Het Prins Leopold Instituut voor Tropische Geneeskunde Antwerpen, 100 jaar, Anvers, 2006 (www.itg.be).
- Mantels, Ruben, Geleerd in de tropen. Leuven, Congo en de wetenschap, Leuven, 2007.
- Ndaywel E Nziem, Isidore, Nouvelle histoire du Congo. Des origines à la République démocratique, Bruxelles, 2008.
- Diser, Lyvia, Ambtenaren in witte jas. Laboratoriumwetenschap in het Belgisch overheidsbeleid (1870-1940), Thèse de doctorat inédite, Katholieke Universiteit Leuven, Département d’Histoire, 2013.
Pour une liste complète des références, voir Diser, Lyvia, Ambtenaren in witte jas. Laboratoriumwetenschap in het Belgisch overheidsbeleid (1870-1940), Thèse de doctorat inédite, Katholieke Universiteit Leuven, Département d’Histoire, 2013.