Difference between revisions of "L’Université belge d'Amersfoort (1915)"

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Latest revision as of 08:16, 18 September 2018

Source: Collectie Archief Eemland.


De janvier à novembre 1915 : telle fut la courte existence de l’Université belge d'Amersfoort. Située en territoire néerlandais, elle était spécialement réservée aux réfugiés belges. Alors que dans leur propre pays, les universités et les écoles supérieures fermaient leurs portes les unes après les autres, les étudiants belges internés dans les camps purent suivre des cours aux Pays-Bas, dans une Université créée spécialement pour eux.



Belges en fuite


Après l'invasion allemande de la Belgique en 1914, près d'un million de Belges, civils et militaires, s’enfuirent aux Pays-Bas, demeurés neutres.[1] Conformément au Traité de paix de La Haye de 1907, ils furent logés dans des camps. Les soldats en fuite furent placés dans des camps d’internement étroitement surveillés. Pour les civils et les familles des soldats, il y avait ce qu’on appelait des «refuges». Les camps étaient répartis à travers tout le pays. Une grande partie de ces réfugiés, à peu près 19.000 hommes, femmes et enfants, échouèrent à Amersfoort. Cet afflux fut tellement important que le nombre d'habitants de cette tranquille petite ville de province doubla d’un seul coup. Les soldats furent logés dans la caserne de Soesterberg, nommée Camp Zeist. Pour les familles des soldats, on construisit dans les environs trois « colonies » de maisons en bois, Albertsdorp, Elisabethdorp et Nieuwdorp. Amersfoort devint alors le plus grand centre d'accueil pour les demandeurs d’asile belges.


Le sort des réfugiés était peu enviable. Ils vivaient les uns sur les autres dans des baraquements en bois. Les citoyens néerlandais ne faisaient pas toujours preuve de beaucoup de compréhension pour les réfugiés belges. L'afflux de demandeurs d'asile représentait pour eux une pression supplémentaire sur leurs rations déjà bien maigres. Les résidents du camp étaient strictement surveillés. Les Pays-Bas veillaient avec soin à ce que leur statut de neutralité ne soit pas compromis. Lorsque, le 3 décembre 1914, une révolte éclata au Camp Zeist, en raison des prix exorbitants du tabac et de l'alcool, elle fut écrasée par les gardiens néerlandais; huit habitants du camp y perdirent la vie.


Appel à la solidarité intellectuelle

Schrijnen jos.jpg
Le professeur Joseph Schrijnen, de l'Université d'Utrecht, fut l'instigateur de cette Université belge. Source: [Page de garde], dans: Katholieke Illustratie, 57 (1924), n°. 41.


L'ennui était un terreau fertile aux tensions. C'est pour cette raison que des comités locaux s’efforçaient d’organiser des événements de distraction, comme des matchs de balle pelote ou des courses cyclistes. Par ailleurs, divers enseignements étaient également offerts : l'enseignement primaire pour les plus petits, des leçons de ménage pour les jeunes filles, et des cours d'alphabétisation pour les adultes. Les hommes pouvaient apprendre un métier ou faire du bénévolat dans le camp.[2] L'initiative de loin la plus significative fut la création de l’Université belge pour les étudiants internés dans les camps.[3] Joseph Schrijnen, professeur de philologie à Utrecht, est avec son collègue de Louvain et mentor, François Collard, à l'origine de ce projet remarquable. Tous deux fervents catholiques, ils partageaient également un même intérêt pour la pédagogie. Dans les années 1890 déjà, Collard s'était engagé en faveur d'une formation plus professionnalisante des enseignants de l'enseignement secondaire, non seulement à Louvain, mais aussi dans les autres universités belges. Au moment où les circonstances le contraignaient à demeurer avec sa famille à Utrecht, l'établissement d'un enseignement supérieur pour les jeunes belges internés dans les camps était un projet à sa mesure.


Le 19 novembre, Schrijnen lança un large appel dans la presse « à tous les professeurs et étudiants belges séjournant aux Pays-Bas», les invitant à prendre contact avec le Professeur Collard. La démarche s’avéra fructueuse : à peine quelques jours plus tard, des dizaines d'étudiants s'étaient déjà inscrits.[4] Les professeurs réagirent également à l'appel de Schrijnen. Parmi eux se trouvaient le professeur de psychologie expérimentale Albert Michotte, le professeur de physique expérimentale de l’Université de Bruxelles Jules Verschaffelt, le professeur d’histoire de l’art de l’Université d’Anvers Leo Van Puyvelde et les professeurs H. Halkin et Ch. Wauters, de Liège. Les professeurs Baudelet et Gillet, enseignant à l’École Royale Militaire de Bruxelles répondirent aussi à cet appel[5] Fin décembre, les professeurs d’Utrecht apportèrent officiellement leur soutien au projet, par la voix du recteur Herman Snellen.


A l'école sous surveillance


Hendrik van viandenstraat1.png
La rue Hendrik van Vianden, avec à droite, au numéro 1, la villa dans laquelle l'université provisoire a probablement été hébergée. Vers 1915. Source: Collection des Archives Eemland.

Initialement, l’idée de Collard était de laisser les étudiants internés au camp se rendre jusqu'au collège de l'Université d'Utrecht, situé non loin de là. Cependant, le ministère de la guerre néerlandais rejeta cette proposition, Utrecht étant une place-forte. Le gouvernement belge, impliqué dans le projet, plaida aussi contre cette idée. Il voulait éviter que les jeunes Belges se lient d'amitié avec les étudiants néerlandais, et soient moins désireux de revenir en Belgique après la guerre. Début décembre, les dés étaient jetés. Le « Amersfoortsche Courant » rapporta que l'administration communale d'Amersfoort, la « ville belge », allait mettre des locaux à disposition de l’université. Les étudiants inscrits, répartis à travers tout le pays, furent transférés le 2 janvier 1915 au Camp Zeist. Tous étaient logés dans la même caserne. Chaque jour, ils devraient être amenés sous escorte armée à la ville d'Amersfoort afin d'assister aux cours.


Le 19 janvier 1915, l’Université provisoire d’Amersfoort fut officiellement déclarée ouverte. Ses locaux étaient situés sur le coin de la rue Henri van Vianden, à ce qu’il semble dans une petite villa avec jardin d'hiver.[6] La villa comptait quatre salles d’études, une salle des professeurs, un réfectoire et deux locaux, un petit et un grand, qui pouvaient servir d'auditoire. [7] Le professeur Victorien Antoine de Louvain, qui était interné à Amersfoort, en devint le directeur. Une trentaine de professeurs, conférenciers, enseignants et officiers, venus d’Utrecht et de Belgique, étaient chargés de l'enseignement. [8] Les professeurs qui ne vivaient pas ou ne demeuraient pas à Amersfoort devaient souvent parcourir une grande distance pour venir y donner cours. Parmi eux, Collard, Halkin et Michotte faisaient la navette depuis Utrecht. D’autres venaient d’encore plus loin : Verschaffelt séjournait à Leiden, Volmer à La Haye, Polak à Rotterdam et Van Puyvelde à Harlem.



Le savoir, rempart contre la guerre

Belgische universiteitje Amersfoort.png
Les étudiants wallons reçoivent des leçons de néerlandais du Dr. Halberstadt (à gauche de la chaire), sous le regard du directeur Antoine (à droite). Source: Tilburgsche courant, 20 juin 1915 Collection des Archives Eemland.


La première leçon de l’année académique fût donnée par Collard. Plusieurs hauts responsables de l'armée, du gouvernement et du milieu académique assistèrent à ce cours. La presse locale s'intéressa également à l'ouverture de la petite Université. Peu après le début des cours, les étudiants reçurent en outre la visite du professeur Adriaan Noyons de Louvain et du ministre belge des sciences et des arts, Prosper Poullet.


Nonante et un élèves, aussi bien flamands que wallons, assistèrent aux cours magistraux. Les leçons étaient données en français et en néerlandais. [9] En outre, les étudiants avaient suivi des cursus très diversifiés. Pour cette raison, l'université mit au programme un grand nombre de matières de formation générale, comme l'éthique, la psychologie expérimentale, la pédagogie, l'histoire contemporaine, l'histoire de la civilisation romaine, l'histoire de la Belgique, l'architecture et la peinture flamande, la littérature flamande, le néerlandais comme langue étrangère ainsi que l'anglais, qui eut beaucoup de succès.


Le cursus faisait également place aux matières scientifiques : chimie générale, chimie organique et inorganique, zoologie, physique expérimentale, nutrition, astronomie, algèbre supérieure, géométrie analytique et descriptive, calcul différentiel, résistance des matériaux et électricité. On ignore si les professeurs avaient à disposition les outils et les matériaux nécessaires à ces différentes disciplines. On ne sait pas vraiment non plus si les professeurs de chimie pouvaient utiliser un laboratoire ou s'ils devaient se limiter à la réflexion et aux explications théoriques. Des manuels étaient en tout cas disponibles: diverses bibliothèques universitaires néerlandaises cédèrent des ouvrages ou acceptèrent de les prêter. La Bibliothèque communale d’Amersfoort mit également des livres à disposition. De plus, certains professeurs offrirent généreusement des livres provenant de leur collection privée. L’action de solidarité permit de rassembler plus de mille volumes. Grâce à l'intervention du département étudiant d'Utrecht au sein du Algemeens Nederlandsch Verbond, l'enseignement était gratuit.


Bothtstraat Pieter Gezicht op 't Plantsoen.png
Vue sur le bâtiment de l'université du rue Pieter Both. Source: Collection Ton Blom.

Lors de l'établissement de l'horaire des cours, aucune distinction par discipline ne fut instituée, ainsi qu'en atteste Collard. C'est la disponibilité des professeurs qui détermina la composition de la grille horaire. Pourtant le cursus englobait, selon lui, les aspirations universelles d'une formation universitaire. Les matières étaient « des études que tout lettré ne peut ignorer ». Plus encore qu’une formation scientifique, les cours avaient, aux yeux de Collard, une fonction moralisatrice. Ils distrayaient les exilés et permettaient de maintenir un lien affectif avec la patrie. Les cours faisaient revivre les souvenirs des leçons de leurs «grands maîtres» d'avant la guerre. Par-dessus tout, l'engagement intellectuel des jeunes gens devait faire office de balise contre la décadence morale de la guerre.


Mais pour Collard, l’Université avait un intérêt supplémentaire, comme il l'écrivit dans sa brochure L’université belge d’Amersfoort (1915). En effet, elle lui offrait l'occasion de développer un projet pilote: un programme d’enseignement fondé sur la liberté totale. Les professeurs pouvaient bénéficier de cette liberté : ils pouvaient créer leur propre chaire et concevoir librement leurs cours, sans être entravés par les manuels scolaires, les traditions et les plans de cours. Mais cette liberté absolue devait aussi être accordée aux étudiants. Ceux-ci ne devaient passer ni tests d'admission, ni examens, et pouvaient choisir leurs cours selon leurs goûts. Selon Collard, l'université n’était de cette manière plus seulement un tremplin vers un gagne-pain ; la science avait de la valeur en soi, tandis que la récompense de l’étude se trouvait dans l'acquisition du savoir. La description de Collard était en contraste frappant avec la réalité de l’Université où les livres et le matériel manquaient, alors que les professeurs et les étudiants vivaient en exil. Collard essayait clairement de tirer le meilleur profit des tristes circonstances dans lesquelles il vivait. En ce sens, l’université était sans doute avant tout un refuge vis-à-vis de l'enfermement et de la réalité quotidienne.

"Elle restera l’une des institutions
les plus originales et le plus touchantes
que les graves évènements dont nous
sommes les témoins,auront fait
surgir sur le sol accueillant et
hospitalier de la Hollande." (Collard)
[10]


La fin de l'université éphémère


Pour Collard, l’expérience de la liberté fut un succès. L'existence de cette Université belge fut toutefois de courte durée. L'automne de 1915 vit l'apparition, dans de nombreux camps, d'un assouplissement du règlement. Les internés avaient désormais l'autorisation de quitter la clôture du camp. Pour les étudiants, cela signifiait qu'ils pouvaient dès lors se rendre dans les établissements d'enseignement néerlandais, au grand regret de certains d'entre eux. La raison d'être de l'université provisoire avait dès lors disparu. Aussi fut-elle dissoute aussi rapidement qu'elle avait surgi. Les étudiants furent répartis, sur base de leur formation, dans les universités d'Utrecht et de Delft, à l’Ecole de Commerce de Rotterdam et à l'Université agricole de Wageningen.






Notes

  1. Une centaine de milliers de ces réfugiés y restèrent jusqu'à la fin de la guerre.
  2. C’est seulement à partir du milieu de l'année 1915 que les soldats belges furent autorisés à chercher un emploi en dehors des camps.
  3. Une tentative antérieure visant à relancer l’enseignement louvaniste à l'Université de Cambridge se solda par un échec en raison du manque d'étudiants et de professeurs. Une proposition similaire de l'Université d'Oxford échoua pour les mêmes raisons.
  4. En outre, une centaine d'étudiants belges non internés dans les camps s'inscrivirent également. Dans leur cas, l'enseignement fut organisé à l'Université d'Utrecht. Ceux qui suivaient des études d’ingénieur furent dirigés vers l'Université technique de Delft.
  5. D'autres enseignants parmi lesquels se trouvaient le professeur de littérature Fernand Séverin de Gand, le professeur Deschamps de l’Ecole de commerce d’Anvers, les professeurs Van der Linden de Liège et De Muynck de Louvain, se présentèrent également, de même que Frans van Cauwelaert, mais leurs noms ne furent pas repris sur la liste finale des professeurs.
  6. Les toutes premières leçons furent encore données dans la caserne d'infanterie d’Amersfoort.
  7. Les sources écrites sur l'emplacement exact de l'université provisoire ont disparu. Le bâtiment fut par ailleurs démoli dans les années 1970.
  8. Du côté belge : Major A. Rabozée, les capitaines E. Baudelet et P. Gillet (Royal Military Academy), Victorien Antoine, François Collard et Albert Michotte (Université de Louvain), Leo van Puyvelde (Université de Gand), F. Sterkens (Athénée de Gand), L. Halkin et Ch. Wauters (Université de Liège) et Jules Verschaffelt (Université de Bruxelles)). Du côté néerlandais : major général G.H. Knel, premier lieutenant H.V.J. van Stockum, lieutenant G. Blutz, Recteur Herman Snellen, J. Th. Beysens, E. Kruisinga, J.W. Muller, J.F. Niermeyer, H.F. Nierstrasz, A.A. Nijland, C.A. Pekelharing, P. Van Romburg, Joseph Schrijnen, D. Simons et Th. Strengers (lecteur) (Université d’Utrecht), M. Van Overeen (Lycée d’Utrecht), J. Polak (Expert Comptable, Rotterdam), J. Eggen (Université d’Amsterdam), A. Halberstadt (professeur au gymnase d'Amersfoort), J.G. Volmer (Ecole Polytechnique de Delft, La Haye) et B. Missiaen (docteur en sciences politiques).
  9. En Belgique, l'enseignement supérieur néerlandophone n'était pas encore établi. Le fait qu’une partie des leçons soit donnée dans cette langue était la conséquence de la collaboration de professeurs néerlandais.
  10. Collard, F., L’université belge d’Amersfoort, 1915, 19.


Références