Difference between revisions of "Base Roi Baudouin"
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<br/>L’expédition était équipée de tout le matériel scientifique nécessaire, sélectionné sur conseil du [[Comité Belge de l’Année Géophysique Internationale]]. Une attention particulière fut portée aux instruments météorologiques capables de communiquer leurs résultats à distance, de sorte qu’aucune sortie inutile hors de la base ne soit nécessaire. L’expédition disposait en outre de trois véhicules à chenille, d’un avion et d’un hélicoptère. En plus des scientifiques, on trouvait à bord des brise-glace des hommes d’équipage, un cuisinier, un médecin, quelques mécaniciens, et un photographe aérien et pilote, le Prince Antoine de Ligne. Le météorologue De Maere faisait aussi office de capitaine second. | <br/>L’expédition était équipée de tout le matériel scientifique nécessaire, sélectionné sur conseil du [[Comité Belge de l’Année Géophysique Internationale]]. Une attention particulière fut portée aux instruments météorologiques capables de communiquer leurs résultats à distance, de sorte qu’aucune sortie inutile hors de la base ne soit nécessaire. L’expédition disposait en outre de trois véhicules à chenille, d’un avion et d’un hélicoptère. En plus des scientifiques, on trouvait à bord des brise-glace des hommes d’équipage, un cuisinier, un médecin, quelques mécaniciens, et un photographe aérien et pilote, le Prince Antoine de Ligne. Le météorologue De Maere faisait aussi office de capitaine second. | ||
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Les observations commencèrent le 16 janvier 1958. Le moment était propice : l’activité solaire annuelle était alors à son maximum. Les scientifiques pouvaient tirer leur maximum des grandes innovations qui avaient vu le jour sur le plan des techniques d’observation depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale : le spectrographe à grande lunette, la radiosonde, le sondeur ionosphérique, le radar et les fusées permettaient à présent d’explorer les couches inexplorées de l’atmosphère. Outre ces recherches réalisées à même la base, les membres de l’expédition partirent également, de temps à autres, en reconnaissance dans l’intérieur des terres antarctiques encore vierges de toute exploration humaine. À l’aide de tracteurs, de traineaux à chiens, d’avions, d’avions et d’hélicoptères, il était désormais possible de cartographier des pans de côte et des chaines de montagnes encore jamais décrits auparavant, et d’y recueillir des échantillons géologiques. Ainsi, en décembre 1958, ils découvrirent ainsi un massif montagneux, qu’ils baptisèrent les Montagnes Belgica. | Les observations commencèrent le 16 janvier 1958. Le moment était propice : l’activité solaire annuelle était alors à son maximum. Les scientifiques pouvaient tirer leur maximum des grandes innovations qui avaient vu le jour sur le plan des techniques d’observation depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale : le spectrographe à grande lunette, la radiosonde, le sondeur ionosphérique, le radar et les fusées permettaient à présent d’explorer les couches inexplorées de l’atmosphère. Outre ces recherches réalisées à même la base, les membres de l’expédition partirent également, de temps à autres, en reconnaissance dans l’intérieur des terres antarctiques encore vierges de toute exploration humaine. À l’aide de tracteurs, de traineaux à chiens, d’avions, d’avions et d’hélicoptères, il était désormais possible de cartographier des pans de côte et des chaines de montagnes encore jamais décrits auparavant, et d’y recueillir des échantillons géologiques. Ainsi, en décembre 1958, ils découvrirent ainsi un massif montagneux, qu’ils baptisèrent les Montagnes Belgica. | ||
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<br/>En 1960, le gouvernement belge retira brusquement son soutien financier. La raison avancée officiellement fut les coûts élevés engendrés ailleurs – la décolonisation du Congo – mais il est aussi possible que la Belgique ne voyait alors plus d’intérêt géopolitique à être présente au Pôle Sud : sa place à la future table des négociations pour la partition du continent était désormais assurée. En conséquence, le [[Centre National de Recherches Polaires de Belgique - Nationaal Centrum voor Poolonderzoek|Centre National de Recherches Polaires de Belgique]] cessa de recevoir les moyens financiers nécessaires à la poursuite du programme belge en Antarctique. Le 31 janvier 1961, la Base Roi Baudouin ferma officiellement ses portes. Elle resta déserte trois années durant et se dégrada fortement. | <br/>En 1960, le gouvernement belge retira brusquement son soutien financier. La raison avancée officiellement fut les coûts élevés engendrés ailleurs – la décolonisation du Congo – mais il est aussi possible que la Belgique ne voyait alors plus d’intérêt géopolitique à être présente au Pôle Sud : sa place à la future table des négociations pour la partition du continent était désormais assurée. En conséquence, le [[Centre National de Recherches Polaires de Belgique - Nationaal Centrum voor Poolonderzoek|Centre National de Recherches Polaires de Belgique]] cessa de recevoir les moyens financiers nécessaires à la poursuite du programme belge en Antarctique. Le 31 janvier 1961, la Base Roi Baudouin ferma officiellement ses portes. Elle resta déserte trois années durant et se dégrada fortement. |
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Station scientifique belge en Antarctique, qui fut opérationnelle entre 1957 et 1967.
- | Voir aussi la page sur la Seconde Expédition antarctique belge
Contents
Historique
Préparation
Au cours des années 50, dans le cadre de la participation de la Belgique à l’Année Géophysique Internationale, une nouvelle expédition belge en Antarctique fut organisée.[1] Ce fut Gaston de Gerlache de Gomery, fils du célèbre aventurier polaire Adrien de Gerlache, qui prit l’initiative du projet et en prit les commandes. Le roi Léopold III et le roi régnant, Baudouin, accordèrent leur haut patronage au projet. Le Ministère de l’Instruction publique intervint pour un montant de 40 millions de francs. À côté de l’intérêt scientifique de cette nouvelle base, les décideurs politiques belges avaient d’autres sujet de préoccupation, plus terre-à-terre. Le partage de l’Antarctique n’avait en effet pas encore eu lieu. Le gouvernement belge souhaitait se ménager un siège à la table des négociations, en ajoutant une seconde expédition aux prétentions historiques que le tout premier hivernage en Antarctique lui conférait.
L’objectif de la mission était d’établir une station de recherche sur le continent antarctique, et de pratiquer des observations depuis cette base. Cette fonction serait cependant temporaire. En un pays où la température baisse jusqu’à -80 degré Celsius et où les bourrasques atteignent 240 kilomètres par heure, il n’était pas possible de construire une station d’observation permanente. C’était précisément dans le but de recueillir de temps à autre des données d’observation venant de ces contrées désolées que les années polaires internationales avaient été créées. L’effort combiné de plusieurs pays dans une campagne de recherche internationale, courte mais intense, permettait de tirer le maximum des stations temporaires et des expéditions.
Le brise-glace Polarhav mouille dans la Baie Léopold III en décembre 1957. Source: Gerlache, Retour dans l'Antarctique, 1960. |
Départ
Le 12 novembre 1957, les brise-glace norvégiens Polarhav et Polarsirkel entamèrent leur voyage. Le départ attira une massive attention médiatique. À bord de ces navires se trouvait une équipe de scientifiques. Cette équipe avait pour mission d’exécuter le programme de recherche mis au point par le Comité belge de l’Année Géophysique Internationale.[2] La section météorologique comptait le Baron Xavier de Maere d’Aertrycke et ses deux assistants techniciens, Michel Vanderdoodt et le jeune Georges Vandepoel. L’ingénieur Lucien Cabes était l’expert en géomagnétisme de l’équipe. L’ingénieur agronome Jacques Giot apporteraient sa contribution pour les questions topographiques. Le glaciologue et professeur à l’Université libre de Bruxelles Ezra Edgard Picciotto étudierait la neige et la glace, mais il était aussi expert en matière de radioactivité atmosphérique, laquelle n’avait encore que rarement été étudiée au niveau des pôles. Henri Vandevelde ferait des recherches sur les couches ionosphériques de l’atmosphère. Enfin, le spécialiste de la géodésie Jacques Loodts, de l’Institut Géographique Militaire, étudierait les aurores australes.
L’expédition était équipée de tout le matériel scientifique nécessaire, sélectionné sur conseil du Comité Belge de l’Année Géophysique Internationale. Une attention particulière fut portée aux instruments météorologiques capables de communiquer leurs résultats à distance, de sorte qu’aucune sortie inutile hors de la base ne soit nécessaire. L’expédition disposait en outre de trois véhicules à chenille, d’un avion et d’un hélicoptère. En plus des scientifiques, on trouvait à bord des brise-glace des hommes d’équipage, un cuisinier, un médecin, quelques mécaniciens, et un photographe aérien et pilote, le Prince Antoine de Ligne. Le météorologue De Maere faisait aussi office de capitaine second.
De Gerlache prit un peu plus d’un mois pour atteindre la Mer antarctique, soit cinq mois de moins que son illustre père. Deux jours après Noël, les deux navires atteignirent la Terre de la Reine-Maud. Ils jetèrent finalement l’ancre dans une crique inexplorée, qu’ils baptisèrent la Baie Léopold III. Commença alors la plus importante tâche de la mission : la construction de la base scientifique, qui recevrait le nom du roi Baudouin. La base formerait en outre le refuge d’hivernation des dix-sept hommes que comptaient l’équipage, sitôt que les navires seraient repartis.
Construction de la base
Les trois bâtiments principaux de la base s’élèvent lentement mais sûrement. Source: Gerlache, Retour dans l’Antarctique, 1960. | Les panneaux furent un investissement coûteux mais permirent d’économiser beaucoup de temps. Source: Gerlache, Retour dans l’Antarctique, 1960. | Pour éviter d’avoir à sans arrêt déblayer les portes, l’équipe établit des passages couverts entre les bâtiments. Source: Gerlache, Retour dans l’Antarctique, 1960. |
Les bâtiments de la base étaient de fabrication américaine. Des panneaux épais de douze centimètres, isolants et imperméables, faits de triplex et de matière synthétique, servirent de murs. Du côté extérieur, ils étaient peints en rouge-orange éclatant - de sorte que la base reste visible même en cas d’intense chute de neige – et du côté intérieur, ils étaient d’un vert clair apaisant. Les panneaux pouvaient, grâce à des tenons, être fixés avec un minimum d’efforts sur une structure faite de poutres épaisses, qui reposait sur la neige. À la base de cette structure, un sol flottant et isolant fut installé. Les panneaux du toit étaient faits pour être emboîtés à cette construction. Ils étaient solides, faits pour supporter une épaisse couche de neige, et imperméables, après l’installation d’une bâche. Les cheminées étaient elles aussi faites de façon à ne pas pouvoir être bouchées et risquer de provoquer une asphyxie par les gaz. Les entrées étaient composées de sasses aux lourdes double portes. En pleine phase de construction, une tempête de neige se leva : elle engloutit les bâtiments jusqu’aux toits, ne laissant que les cheminées et les antennes visibles. Ce ne serait pas la dernière. Pendant tout leur séjour, l’équipe aurait à lutter contre l’enneigement.
La base fut prête en dix jours, un temps record. À ses heures de gloire, la Base Roi Baudouin consistait en trois bâtiments et une baraque pour les sanitaires. Le premier et principal bâtiment (31m sur 6) contenait l’espace de vie, la cuisine, la salle de bain, le local radio et les chambres privées pour chacun des dix-sept membres d’équipages. Il y avait aussi une discothèque et une bibliothèque. Dans le premier des deux baraquements plus petits, baptisé « Science », se trouvaient les instruments scientifiques et les espaces de travail. Le second abritait l’atelier et les générateurs. Il y avait en outre un laboratoire de photographie, un observatoire astronomique, un pavillon de géomagnétisme, une infirmerie et un chenil pour les chiens de traineau. Pour conserver les produits alimentaires surgelés, l’équipe creusa une cave dans la glace. Entre les bâtiments, les hommes bâtirent un passage de deux mètres de haut à l’aide des caisses de provision, qui pouvait être emprunté même en cas d’enneigement.
Les premières semaines furent consacrées à la construction des bâtiments et des espaces de vie, la mise en place de la station radio et l’installation du chauffage au mazout, des canalisations de chauffage et de l’électricité. On récupéra autant d’énergie que possible pour produire l’eau potable en fondant la glace, la réchauffer pour s’en servir dans les douches, et maintenir les appareils scientifiques à température.[3] Avec une température intérieure de 16 degrés, la base formait un havre de chaleur au milieu du désert de glace par lequel le froid dépassait facilement les -30°. De Gerlache remarquait que les bâtiments chauffaient en consommant moins d’énergie que sa propre maison de brique ; et que plus ils étaient enneigés, plus aisément il était possible de maintenir un climat agréable à l’intérieur.
Picciotto dans son laboratoire. Source: Gerlache, Retour dans l’Antarctique, 1960. |
Le local de météorologie, avec le second capitaine, De Maere. Source: Gerlache, Retour dans l’Antarctique, 1960. |
Travaux
Les observations commencèrent le 16 janvier 1958. Le moment était propice : l’activité solaire annuelle était alors à son maximum. Les scientifiques pouvaient tirer leur maximum des grandes innovations qui avaient vu le jour sur le plan des techniques d’observation depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale : le spectrographe à grande lunette, la radiosonde, le sondeur ionosphérique, le radar et les fusées permettaient à présent d’explorer les couches inexplorées de l’atmosphère. Outre ces recherches réalisées à même la base, les membres de l’expédition partirent également, de temps à autres, en reconnaissance dans l’intérieur des terres antarctiques encore vierges de toute exploration humaine. À l’aide de tracteurs, de traineaux à chiens, d’avions, d’avions et d’hélicoptères, il était désormais possible de cartographier des pans de côte et des chaines de montagnes encore jamais décrits auparavant, et d’y recueillir des échantillons géologiques. Ainsi, en décembre 1958, ils découvrirent ainsi un massif montagneux, qu’ils baptisèrent les Montagnes Belgica.
Ces observations et recherches aboutirent à un véritable flot de publications. De manière générale, les résultats de ces recherches montraient que l’influence des terres antarctiques sur la vie sur terre, surtout du point de vue du climat et du temps, était plus grande qu’on ne l’avait imaginé. En outre, les études portant sur les couches de glace livraient de nouvelles informations sur l’histoire du monde et la succession des périodes glaciaires. Les scientifiques présidaient aussi au sixième continent un rôle important dans le futur, vu la richesse préservée de son sol et de ses fonds marins.
Suites
Les observations de l’environnement polaire dans et aux alentours de la Base Roi Baudouin furent à ce point fructueuses qu’un Comité Spécial pour les Recherches internationales sur le Continent antarctique ordonna la poursuite du programme de recherche pour une période de dix ans, de sorte que le cycle complet du soleil ait pu être observé. Les membres de l’expédition de Gerlache furent relayés au printemps 1959 par une nouvelle équipe, sous la conduite du capitaine d’aviation et météorologue [[Bastin], Frank].[4] Cette dernière n’avait pu que péniblement obtenir un subside du gouvernement belge. Juste avant son départ, Bastin avait cependant pu mettre sur pied un Centre National de Recherches Polaires de Belgique financé par l’État, grâce auquel le financement public pour la recherche belge en Antarctique obtenait enfin une forme permanente. Parmi les scientifiques, on comptait entre autres le géologue Tony van Autenboer, le glaciologue Y. Van de Can, et les météorologues Vandenbosch et Van Baelen. Plusieurs scientifiques s’occupèrent de l’étude de la radioactivité. La station Roi Baudouin servit encore de base d’opérations pour une troisième équipe, dirigée par Guido Derom, qui avait été choisi par Van Mieghem et de Gerlache. Ces scientifiques séjournèrent ponctuellement dans la base de mars 1960 à mars 1961. Au cours de l’été polaire, les membres de deux expéditions estivales, IRIS I et IRIS II, atterrirent aussi à la base Roi Baudouin.
En 1960, le gouvernement belge retira brusquement son soutien financier. La raison avancée officiellement fut les coûts élevés engendrés ailleurs – la décolonisation du Congo – mais il est aussi possible que la Belgique ne voyait alors plus d’intérêt géopolitique à être présente au Pôle Sud : sa place à la future table des négociations pour la partition du continent était désormais assurée. En conséquence, le Centre National de Recherches Polaires de Belgique cessa de recevoir les moyens financiers nécessaires à la poursuite du programme belge en Antarctique. Le 31 janvier 1961, la Base Roi Baudouin ferma officiellement ses portes. Elle resta déserte trois années durant et se dégrada fortement.
Quelques temps plus tard, les autorités belges changèrent d’avis, sous la pression de Gaston de Gerlache de Gomery, et donnèrent le feu vert à de nouvelles recherches belges au Pôle Sud. Elles exigèrent cependant une collaboration financière avec un second pays. Le 21 janvier 1964, une expédition belgo-néerlandaise atteint la Base Roi Baudouin. La station avait tant souffert des conditions climatiques que l’équipe décida en catastrophe la construction d’une nouvelle Base Roi Baudouin. Des missions belgo-néerlandaises hivernèrent en 1964, 1965 et 1966. Lorsque l’État néerlandais retira son soutien financier, il sembla impossible aux Belges de continuer. En 1967, la Base Roi Baudouin fut définitivement évacuée.
Localisation
La station se trouvait à 70°25’ de latitude sud et 24°19’ de longitude est. Ce n’était pas la seule base dans les environs. Les États-Unis, l’Union soviétique, la France, la Grande-Bretagne, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Chili et le Japon avaient établi à la même époque des bases sur le sixième continent. L’endroit choisi était toutefois assez reculé des bases voisines que pour être intéressant d’un point de vue scientifique. La région de cette implantation était alors encore complètement inexplorée.
Bibliographie
- Van Mieghem, Jacques, Het Internationaal Geofysisch Jaar, 1957-1958, Brussel, 1956.
- De Belgische Zuidpoolexpedities onder leiding van Adrien de Gerlache de Gomery (1897-1899) en Gaston de Gerlache de Gomery (1957-1959), Leuven, 1983.
- Expédition antarctique belge 1957-1958. Compte rendu d'activité, Bruxelles, 1957.
- Note sur l'expédition antarctique belge 1957-1958, s.l., 1958.
- Année géophysique internationale 1957-1958. Programme de la Belgique, du Congo belge et de l'Expédition antarctique belge. Texte français, Bruxelles, 1958.
- Gerlache de Gomery, Gaston de, Terug naar de Zuidpool. Het verhaal van de Belgische Zuidpoolexpeditie, 1957-1958, Tielt/Den Haag, 1960. (oorspronkelijk werk: Retour dans l'Antarctique. Récit de l'expédition antarctique belge, 1957-1958, Paris/Tournai, 1960
- De Gerlache de Gomery, Gaston , De Maere d'Aertrycke, Xavier, Cabes, Luc, Loodts, Jacques e.a., Expédition antarctique belge 1957-1958 : résultats scientifiques, Bruxelles, 1958.
- De Gerlache de Gomery, Gaston, De Maere d'Aertrycke, Xavier, Loodts, Jacques, Expédition antarctique belge 1957-1958 : rapports scientifiques préliminaires, 1960.
- Belgica-bergen : Belgische Zuidpoolexpeditie 1957-1958; Cdt Gaston de Gerlache, Bruxelles, 1958.
- Picciotto, E., Quelques résultats scientifiques de l'expédition antarctique belge, 1957-1958, Bruxelles, 1961.
- Abbink, Peter, Antarctic Policymaking and Science in the Netherlands, Belgium and Germany (1957-1990), Groningen, 2009.
- Decleir, Hugo en De Broyer, Claude (red.), The Belgica expedition centennial: perspectives on Antarctic science and history, Bruxelles, 2001.
Notes
- ↑ 45 pays au total y prirent part. Douze d’entre eux mirent sur pied des missions d’exploration en Antarctique, qui établirent des bases temporaires.
- ↑ Parmi les membres de ce groupe de travail, on rencontrait entre autres Jacques van Mieghem, directeur de l’Institut royal météorologique de Belgique ; Paul Bourgeois, directeur de l’ Observatoire royal de Belgique ; Paul Melchior, Omer Tulippe, Marcel Nicolet, Jean-Louis Koenigsfeld, Malet, Bastin, Edmond Hoge en de Gerlache.
- ↑ Note sur l'expédition antarctique belge 1957-1958, s.l., 1958.
- ↑ Les membres de l’expédition de Gerlache atteignirent Ostende le 2 avril 1959