Difference between revisions of "Les aventures scientifiques du Professeur Piccard"
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− | '''« Et voici le professeur Piccard qui prend son envol ! Pour la plus téméraire et | + | '''« Et voici le professeur Piccard qui prend son envol ! Pour la plus téméraire et romanesque de toutes les aventures scientifiques ! » Ainsi applaudissait le journal télévisé du Cinema Pathé le 27 mai 1931.<ref>[https://www.britishpathe.com/video/10-miles-above-the-earth “Switzerland. 10 miles above the Earth. Professor Piccard and Dr Kipfer, safe and sound after World's most daring and romantic scientific adventure”], in: ''Pathé Gazette'', 1931.</ref> Le monde entier retint son souffle en regardant les images tremblotantes du premier voyage stratosphérique en ballon, filmé en noir et blanc. À bord de l’appareil : le professeur bruxellois Auguste Piccard. Le FNRS belge, sponsor du projet, avait de quoi être satisfait. Pour le tout jeune fonds scientifique, le physicien excentrique et son projet spectaculaire arrivaient à point nommé. |
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Le [[Fonds National de la Recherche Scientifique|FNRS]] accorda à Piccard tous les crédits nécessaires. La direction du tout jeune fonds scientifique avait de bonnes raisons d’être enthousiaste pour cet ambitieux projet. Le FNRS devait prouver son utilité. De plus, il dépendait du soutien de riches mécènes et des banques, et devait attirer toujours plus de dons. Un projet de prestige arrivait à point nommé pour se faire un nom. Depuis sa fondation en 1928 sous le patronage du roi, le fonds avait surtout accordé des mandats de recherche individuels : indispensable, certes, mais pas très impressionnant.<ref>Un premier grand projet financé par un crédit FNRS avait contribué aux fouilles de la métropole romaine d’Apamée, en Syrie. Ce projet n’avait pas vraiment attiré les caméras, du moins à cette époque.</ref> | Le [[Fonds National de la Recherche Scientifique|FNRS]] accorda à Piccard tous les crédits nécessaires. La direction du tout jeune fonds scientifique avait de bonnes raisons d’être enthousiaste pour cet ambitieux projet. Le FNRS devait prouver son utilité. De plus, il dépendait du soutien de riches mécènes et des banques, et devait attirer toujours plus de dons. Un projet de prestige arrivait à point nommé pour se faire un nom. Depuis sa fondation en 1928 sous le patronage du roi, le fonds avait surtout accordé des mandats de recherche individuels : indispensable, certes, mais pas très impressionnant.<ref>Un premier grand projet financé par un crédit FNRS avait contribué aux fouilles de la métropole romaine d’Apamée, en Syrie. Ce projet n’avait pas vraiment attiré les caméras, du moins à cette époque.</ref> | ||
− | <br/>La requête de Piccard ne pouvait donc pas mieux tomber. Un voyage dans la stratosphère : voilà quelque chose d’excitant ! Le projet semblait tout droit sorti d’un roman de Jules Verne et correspondait à l’image | + | <br/>La requête de Piccard ne pouvait donc pas mieux tomber. Un voyage dans la stratosphère : voilà quelque chose d’excitant ! Le projet semblait tout droit sorti d’un roman de Jules Verne et correspondait à l’image romanesque que le public se faisait de la recherche fondamentale. En outre, le grand public n’avait pas besoin de comprendre ce que le professeur voulait mesurer là-haut. Ce qu’on voyait était déjà assez spectaculaire : une invention unique, pleine de promesses pour l’industrie ; un grand pas pour l’humanité et un record d’altitude pour la Belgique. |
− | <br/>Même le récipiendaire se confondait avec le cliché | + | <br/>Même le récipiendaire se confondait avec le cliché romanesque du scientifique-aventurier. Avec sa stature de grand échalas, son large front, ses petites lunettes et sa chevelure en bataille, le « Professeur Piccard » correspondait à l'image iconique du savant. « L’apparence physique de Piccard l’a bien aidé » écrivent ses biographes, « un dessinateur ne l’aurait pas mieux imaginé, […] il semblait ‘fait sur mesure’. » Piccard était aimable, un peu distrait au premier abord, et il avait le don d’expliquer ses recherches en langage ordinaire et avec humour. |
<br/>Avant même qu’il ne parte pour de bon, le professeur était déjà la vedette des journaux et des magazines. Le lectorat se régalait de ses habitudes bizarres. « Il portait une montre à chaque poignet ! » « Il pouvait écrire des deux mains ! » Sa devise, « L’exploration est le sport du savant », fut citée d’innombrables fois. Le projet de Piccard devint un véritable projet national. Et même mondial. | <br/>Avant même qu’il ne parte pour de bon, le professeur était déjà la vedette des journaux et des magazines. Le lectorat se régalait de ses habitudes bizarres. « Il portait une montre à chaque poignet ! » « Il pouvait écrire des deux mains ! » Sa devise, « L’exploration est le sport du savant », fut citée d’innombrables fois. Le projet de Piccard devint un véritable projet national. Et même mondial. | ||
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|width="100"|'''Après son succès de 1931, le merchandising battit son plein, avec des livres de vulgarisation écrits par Piccard et un timbre-poste en l’honneur de son ballon.''' | |width="100"|'''Après son succès de 1931, le merchandising battit son plein, avec des livres de vulgarisation écrits par Piccard et un timbre-poste en l’honneur de son ballon.''' | ||
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− | « La Place Rogier était noire de monde. Les voitures se frayaient avec peine un chemin dans la foule. » se souvient Marianne Denis, qui deviendra plus tard Madame Piccard. La direction du FNRS se trouvait au premier rang, pour féliciter les deux aérostiers. La prestation de Piccard était aussi une prestation pour le jeune fonds scientifique, et on en avait alors conscience. La « séance académique solennelle » qui eut lieu au Palais des Académies ressemblait à une fête de victoire. Le roi et la reine étaient présents, ainsi que d’innombrables notables de Belgique et de l’étranger. Le Ministre des Sciences & des Arts, Petitjean, prit la parole pour célébrer Piccard. Ce faisant, il exprimait à la perfection l’enjeu que constituait cette aventure pour le Fonds National : « Seules des occasions grandioses, comme celle d’aujourd’hui, permettent à la foule de se rendre compte de la haute et noble portée morale de l’Institution [ | + | « La Place Rogier était noire de monde. Les voitures se frayaient avec peine un chemin dans la foule. » se souvient Marianne Denis, qui deviendra plus tard Madame Piccard. La direction du FNRS se trouvait au premier rang, pour féliciter les deux aérostiers. La prestation de Piccard était aussi une prestation pour le jeune fonds scientifique, et on en avait alors conscience. La « séance académique solennelle » qui eut lieu au Palais des Académies ressemblait à une fête de victoire. Le roi et la reine étaient présents, ainsi que d’innombrables notables de Belgique et de l’étranger. Le Ministre des Sciences & des Arts, Petitjean, prit la parole pour célébrer Piccard. Ce faisant, il exprimait à la perfection l’enjeu que constituait cette aventure pour le Fonds National : « Seules des occasions grandioses, comme celle d’aujourd’hui, permettent à la foule de se rendre compte de la haute et noble portée morale de l’Institution [le FNRS]. Vous avez, Monsieur Piccard, rendu tangibles les effets heureux de l’initiative royale. » |
− | <br/>L’aventure de Piccard avait beau être grandiose et spectaculaire, elle livra à la science peu de ce qu’elle avait | + | <br/>L’aventure de Piccard avait beau être grandiose et spectaculaire, elle livra à la science peu de ce qu’elle avait promis. Le vol n’avait été qu’une longue succession de malchances, de sorte que très peu de mesures avaient bel et bien pu être prises. L’ascension avait été trop rapide : après une demi-heure, le ballon avait déjà atteint l’altitude attendue. Pendant un court moment, les scientifiques durent boucher eux-mêmes une fuite dans la paroi de la cabine et remettre à niveau la pression qui avait dangereusement baissé. |
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− | |width="100"|'''La prestance remarquable de Piccard inspira Hergé en | + | |width="100"|'''La prestance remarquable de Piccard inspira Hergé en 1943 pour la création du personnage du Professeur Tournesol.''' |
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<br/>Enfin, lorsque les aérostiers voulurent entreprendre leur descente, la valve à gaz s’avéra être bloquée. Il ne restait plus qu’à attendre jusqu’au soir, que le froid fasse décroître le volume du ballon et que celui-ci descende tout seul. Ce fut une attente longue et angoissante, car les scientifiques n’avaient qu’une réserve limitée d’oxygène à bord. De plus, la faille refermée à l’aide de corde et de vaseline s’ouvrit de nouveau. | <br/>Enfin, lorsque les aérostiers voulurent entreprendre leur descente, la valve à gaz s’avéra être bloquée. Il ne restait plus qu’à attendre jusqu’au soir, que le froid fasse décroître le volume du ballon et que celui-ci descende tout seul. Ce fut une attente longue et angoissante, car les scientifiques n’avaient qu’une réserve limitée d’oxygène à bord. De plus, la faille refermée à l’aide de corde et de vaseline s’ouvrit de nouveau. | ||
− | <br/>Au cours de la longue et difficile descente, il s’avéra que le mécanisme de rotation de la cabine, grâce auquel l’équipage pouvait supporter les températures variant du froid polaire à la chaleur | + | <br/>Au cours de la longue et difficile descente, il s’avéra que le mécanisme de rotation de la cabine, grâce auquel l’équipage pouvait supporter les températures variant du froid polaire à la chaleur toride (les scientifiques ne pouvaient combattre la soif car ils avaient oublié d'emporter des réserves d’eau potable). Piccard et Kipfer ne pouvaient prendre de mesures, car vu les risques que comportait un atterrissage de nuit, les instruments avaient été soigneusement emballés. |
− | <br/>L’été suivant, Piccard remontait à bord de son ballon pour un second vol. Le public était encore plus enthousiaste que la première fois. Tout scepticisme avait disparu, à présent que | + | <br/>L’été suivant, Piccard remontait à bord de son ballon pour un second vol. Le public était encore plus enthousiaste que la première fois. Tout scepticisme avait disparu, à présent que chacun savait le professeur Piccard fou, mais aussi génial. Une foule de 30 à 40 000 personnes (du jamais vu !) se pressa à Düssendorf, en Suisse, où la montgolfière devait à nouveau s’envoler. Deux milles automobiles avaient fait le déplacement. Le roi et la reine de Belgique étaient présents. Le professeur Piccard battrait son record de hauteur, prédisait-on. C’est ce qui arriva : le professeur bruxellois, cette fois accompagné de l’ingénieur belge [[Cosyns, Max (1906-1998)|Max Cosyns]] comme assistant, atteignit la hauteur de 16 940 mètres. Cette fois encore, il fut accueilli en héros avec des fleurs, des télégrammes et des coups de téléphone, et une réception solennelle par le FNRS. |
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|width="100"|'''Le ''FNRS II'' était équipé d’un flotteur et d’un moteur, ce qui en faisait le premier sous-marin manœuvrable de l’intérieur.</small> | |width="100"|'''Le ''FNRS II'' était équipé d’un flotteur et d’un moteur, ce qui en faisait le premier sous-marin manœuvrable de l’intérieur.</small> | ||
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− | Peu de temps après ce nouvel exploit, Piccard se lança dans un projet d’exploration dans la direction inverse : un engin sous-marin conçu pour les grandes profondeurs, avec équipage. La physique nécessaire pour s’enfoncer dans les profondeurs de la mer n’était fondamentalement pas différente de celle nécessaire aux ascensions en ballon. Ici aussi, les ingrédients étaient : une cabine d’équipage étanche avec une pression interne supportable, un « ballon » gonflé avec un gaz relativement léger, et du lest à jeter pour monter. | + | Peu de temps après ce nouvel exploit, Piccard se lança dans un projet d’exploration dans la direction inverse : un engin sous-marin conçu pour les grandes profondeurs, avec équipage. La physique nécessaire pour s’enfoncer dans les profondeurs de la mer n’était fondamentalement pas différente de celle nécessaire aux ascensions en ballon. Ici aussi, les ingrédients étaient : une cabine d’équipage étanche avec une pression interne supportable, un « ballon » gonflé avec un gaz relativement léger, et du lest à jeter pour monter. Afin de supporter la pression hydrostatique extrême d’un séjour dans les grandes profondeurs, la cabine sphérique devait être suffisamment solide et l’intérieur devait être incompressible. Picard choisit le kérosène comme liquide de flottaison et l’acier et le plexiglas pour les fenêtres de la cabine. |
− | <br/>Piccard obtint à nouveau le soutien financier du FNRS, quoique moins qu’il l’avait escompté. Dans un réflexe patriotique d’après-guerre, le Fonds stipulait de plus qu’un Belge devait participer au projet en tant que co-directeur. Les fonds ne permirent à Piccard | + | <br/>Piccard obtint à nouveau le soutien financier du FNRS, quoique moins qu’il l’avait escompté. Dans un réflexe patriotique d’après-guerre, le Fonds stipulait de plus qu’un Belge devait participer au projet en tant que co-directeur. Les fonds ne permirent à Piccard de fabriquer qu'une version rudimentaire du « bathyscaphe ». Comparé au ballon, ce projet-ci était aussi autrement plus conséquent. À la place de quelques porteurs vigoureux, c’étaient tout un bateau et un lourd système de palans qui étaient nécessaires pour conduire le sous-marin à destination. Le kérosène devait être transporté à part sur le bateau, sans quoi le véhicule motorisé imploserait sous l’effet de son propre poids. Il s’agissait d’une énorme entreprise. |
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<br/>En octobre 1948, le bathyscaphe, baptisé le ''FNRS II'', arriva au Cap Vert, où les deux plongées prévues devaient avoir lieu. Le public, qui espérait des sensations fortes, suivait l’évènement avec attention. Le gouvernement belge avait dépêché un journaliste pour couvrir l’expérience. Le 26 octobre, la plongée d’essai jusqu’à 25 mètres de profondeur était au programme. Elle dura à peine un quart d’heures. L’essentiel du temps, douze heures au total, fut passé à remplir et à vider le flotteur de kérosène. Piccard et son assistant, Théodore Monod, passèrent tout ce temps dans la cabine, sous le flotteur. | <br/>En octobre 1948, le bathyscaphe, baptisé le ''FNRS II'', arriva au Cap Vert, où les deux plongées prévues devaient avoir lieu. Le public, qui espérait des sensations fortes, suivait l’évènement avec attention. Le gouvernement belge avait dépêché un journaliste pour couvrir l’expérience. Le 26 octobre, la plongée d’essai jusqu’à 25 mètres de profondeur était au programme. Elle dura à peine un quart d’heures. L’essentiel du temps, douze heures au total, fut passé à remplir et à vider le flotteur de kérosène. Piccard et son assistant, Théodore Monod, passèrent tout ce temps dans la cabine, sous le flotteur. | ||
− | <br/>Quelques jours plus tard, le ''FNRS II'' effectua sa seconde plongée, cette fois sans équipage. Le bathyscaphe descendit à une profondeur de 1380 mètres. Après cette plongée, la mer parut cependant trop agitée pour vider le flotteur. L’équipe dut laisser le réservoir de kérosène se vider dans la mer. Comble de malheurs | + | <br/>Quelques jours plus tard, le ''FNRS II'' effectua sa seconde plongée, cette fois sans équipage. Le bathyscaphe descendit à une profondeur de 1380 mètres. Après cette plongée, la mer parut cependant trop agitée pour vider le flotteur. L’équipe dut laisser le réservoir de kérosène se vider dans la mer. Comble de malheurs : la forte houle infligea des dégâts irréparables au flotteur. La première plongée des profondeurs fut aussi la dernière pour l’appareil. Ce revers n’avait rien de dramatique, selon Piccard : la preuve était faite que son invention fonctionnait. |
− | <br/>C’était peut-être l’avis de Piccard, mais pour le public et la presse, | + | <br/>C’était peut-être l’avis de Piccard, mais pour le public et la presse, la déception fut à la hauteur de l'impatience avec laquelle ils avaient suivi ces nouvelles aventures. Le projet de plongée dans les abysses n’eut rien des émotions fortes suscitées par le voyage en ballon. Il était impossible de suivre les évènements en live, car le professeur Piccard se trouvait en Afrique, et de surcroît loin des côtes. De plus, le film n’était pas exactement palpitant : le remplissage du flotteur durait des heures, la véritable prestation fut courte et hors de portée des caméras. Et aucun record n’avait été battu. |
− | <br/>Le public ne se rendait peut-être pas compte à quel point le bathyscaphe de Piccard était novateur. Depuis les années 30, il y avait eu de nombreuses expériences avec des bathysphères, une sorte de submersibles descendu dans l’eau par un câble. Le riche aventurier Otis Barton avait tourné en 1938 un film long métrage sur ses explorations dans les abysses, baptisé Titans of the deep. Le grand public ne voyait sans doute aucune différence entre ces bathysphères et le sous-marin abyssal de Piccard. On s’en rend compte dans un journal parlé allemand qui tournait dans les cinémas à l’automne 1948 : la bathysphère y était présentée comme un submersible, et le commentateur mentionnait seulement que Piccard parviendrait à battre le record de profondeur de 4000 mètres. Peu de temps avant les essais du ''FNRS II'', en septembre, on apprit que la bathysphère d’Otis Barton avait atteint la profondeur de 1360 mètres. En comparaison, la plongée sans équipage du ''FNRS II'' faisait pâle figure. | + | <br/>Le public ne se rendait peut-être pas compte à quel point le bathyscaphe de Piccard était novateur. Depuis les années 30, il y avait eu de nombreuses expériences avec des bathysphères, une sorte de submersibles descendu dans l’eau par un câble. Le riche aventurier Otis Barton avait tourné en 1938 un film long métrage sur ses explorations dans les abysses, baptisé ''Titans of the deep''. Le grand public ne voyait sans doute aucune différence entre ces bathysphères et le sous-marin abyssal de Piccard. On s’en rend compte dans un journal parlé allemand qui tournait dans les cinémas à l’automne 1948 : la bathysphère y était présentée comme un submersible, et le commentateur mentionnait seulement que Piccard parviendrait à battre le record de profondeur de 4000 mètres. Peu de temps avant les essais du ''FNRS II'', en septembre, on apprit que la bathysphère d’Otis Barton avait atteint la profondeur de 1360 mètres. En comparaison, la plongée sans équipage du ''FNRS II'' faisait pâle figure. |
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− | <br/>Un échec donc : ainsi conclurent la presse et le public. Plusieurs millions étaient tombés à l’eau – littéralement. « Ils s’attendaient à une première sortie plus spectaculaire » raconta plus tard Marianne Denis, l’épouse de Piccard. À présent que les projets de Piccard n’avaient plus les faveurs du public, il sembla que la démangeaison du FNRS pour les explorations scientifiques verticales s’était | + | <br/>Un échec donc : ainsi conclurent la presse et le public. Plusieurs millions étaient tombés à l’eau – littéralement. « Ils s’attendaient à une première sortie plus spectaculaire » raconta plus tard Marianne Denis, l’épouse de Piccard. À présent que les projets de Piccard n’avaient plus les faveurs du public, il sembla que la démangeaison du FNRS pour les explorations scientifiques verticales s’était apaisée. Ce n’était pas complètement illogique. Tout d’abord, le projet d’exploration des profondeurs coûtait très cher. Ensuite, le fonds scientifique avait aussi sponsorisé le projet dans le but de se rendre visible auprès des citoyens. À présent que les critiques négatives se multipliaient, le conseil d’administration du FNRS a dû se dire qu’il était temps de faire une analyse coûts – bénéfices. Nombreux étaient les administrateurs à juger qu’un montant trop élevé était passé dans ce projet. Et ce, alors que les caisses étaient maigres et que [[À la conquête de la politique scientifique : ‘Un effort national en faveur de la science’|la science de l’après-guerre prenait clairement une direction nouvelle]]. |
− | <br/>« L’opinion publique ne peut suivre le savant sur les chemins ardus et obscurs de la recherche. » On cessa de publier les écrits du professeur, et même le FNRS le laissa tomber, raconte Marianne Denis. « Piccard se retrouva seul. » En dépit des essais fructueux, son invention, « la cabine que le savant avait lui-même inventé, calculé, esquissé et construit » fut vendue à la marine française. [[À la conquête de la politique scientifique : ‘Un effort national en faveur de la science’|En ces temps de « science lourde »]], il n’y avait plus de place pour l’inventeur solitaire et sa science | + | <br/>« L’opinion publique ne peut suivre le savant sur les chemins ardus et obscurs de la recherche. » On cessa de publier les écrits du professeur, et même le FNRS le laissa tomber, raconte Marianne Denis. « Piccard se retrouva seul. » En dépit des essais fructueux, son invention, « la cabine que le savant avait lui-même inventé, calculé, esquissé et construit », fut vendue à la marine française. [[À la conquête de la politique scientifique : ‘Un effort national en faveur de la science’|En ces temps de « science lourde »]], il n’y avait plus de place pour l’inventeur solitaire et sa science romanesque. |
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Revision as of 14:51, 26 June 2019
Toujours plus haut
Professeur Piccard
Le FNRS accorda à Piccard tous les crédits nécessaires. La direction du tout jeune fonds scientifique avait de bonnes raisons d’être enthousiaste pour cet ambitieux projet. Le FNRS devait prouver son utilité. De plus, il dépendait du soutien de riches mécènes et des banques, et devait attirer toujours plus de dons. Un projet de prestige arrivait à point nommé pour se faire un nom. Depuis sa fondation en 1928 sous le patronage du roi, le fonds avait surtout accordé des mandats de recherche individuels : indispensable, certes, mais pas très impressionnant.[3]
Le premier homme dans l’espace
Science tangible
« La Place Rogier était noire de monde. Les voitures se frayaient avec peine un chemin dans la foule. » se souvient Marianne Denis, qui deviendra plus tard Madame Piccard. La direction du FNRS se trouvait au premier rang, pour féliciter les deux aérostiers. La prestation de Piccard était aussi une prestation pour le jeune fonds scientifique, et on en avait alors conscience. La « séance académique solennelle » qui eut lieu au Palais des Académies ressemblait à une fête de victoire. Le roi et la reine étaient présents, ainsi que d’innombrables notables de Belgique et de l’étranger. Le Ministre des Sciences & des Arts, Petitjean, prit la parole pour célébrer Piccard. Ce faisant, il exprimait à la perfection l’enjeu que constituait cette aventure pour le Fonds National : « Seules des occasions grandioses, comme celle d’aujourd’hui, permettent à la foule de se rendre compte de la haute et noble portée morale de l’Institution [le FNRS]. Vous avez, Monsieur Piccard, rendu tangibles les effets heureux de l’initiative royale. »
Dans les profondeurs
Peu de temps après ce nouvel exploit, Piccard se lança dans un projet d’exploration dans la direction inverse : un engin sous-marin conçu pour les grandes profondeurs, avec équipage. La physique nécessaire pour s’enfoncer dans les profondeurs de la mer n’était fondamentalement pas différente de celle nécessaire aux ascensions en ballon. Ici aussi, les ingrédients étaient : une cabine d’équipage étanche avec une pression interne supportable, un « ballon » gonflé avec un gaz relativement léger, et du lest à jeter pour monter. Afin de supporter la pression hydrostatique extrême d’un séjour dans les grandes profondeurs, la cabine sphérique devait être suffisamment solide et l’intérieur devait être incompressible. Picard choisit le kérosène comme liquide de flottaison et l’acier et le plexiglas pour les fenêtres de la cabine.
Seul
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- ↑ Illustration de couverture du Le Petit Journal, 42 (1931), nr. 2111 (7 juin).
- ↑ “Switzerland. 10 miles above the Earth. Professor Piccard and Dr Kipfer, safe and sound after World's most daring and romantic scientific adventure”, in: Pathé Gazette, 1931.
- ↑ Un premier grand projet financé par un crédit FNRS avait contribué aux fouilles de la métropole romaine d’Apamée, en Syrie. Ce projet n’avait pas vraiment attiré les caméras, du moins à cette époque.
- ↑ On évita un décollage en Belgique, de peur que le ballon ne tombe en mer.
Source imprimée
- Discours prononcés au cours de la séance académique solennelle tenue au Palais des académies à Bruxelles, le 18 juin 1931, en l'honneur de M. le Professeur Auguste Piccard et de M. Paul Kipfer, en présence de LL. MM. le Roi et la Reine, Bruxelles, 1931.
- Piccard, Auguste, Au-dessus des nuages, Paris, 1933.
- Piccard, Auguste, Entre terre et ciel: réalités ; visions d'avenir, Lausanne, 1946. Traduit: Tussen aarde en hemel: feiten toekomstdromen, Antwerpen, 1948.
- Piccard, Auguste, Boven de wolken, onder de golven, Antwerpen, 1957.
Piccard, Auguste, Au seuil du cosmos, Paris, 1964.
Littérature
- De Latil, Pierre en Rivoire, Jean, Le professeur Piccard et l’exploration verticale, 1962, Paris/Lausanne.
- “Piccard, Auguste”, in: Biographie nationale, 41 (1979-1980), 649.
- Maillard, Cathérine, "Quelques projets historiques, financés par le FNRS", in: FNRS News, 94 (2013), septembre, 14-15.
- De wetenschap ten dienste 1927-1952, Bruxelles, 1953.
- Balthazar,Herman, "Wetenschappelijk onderzoek en maatschappij. Een evolutieschets van het N.F.W.O 1928-1978", in: N.F.W.O. 1928-1978, s.l., s.d.
- Bertrams, Kenneth, Universités et entreprises. Milieux académiques et industriels en Belgique 1880-1970, Bruxelles, 2006.
- Bertrams, Kenneth, Biémont, Émile, Van Tiggelen, Brigitte en Vanpaemel, Geert (red.), Pour une histoire de la politique scientifique en Europe (XIXe-XXe siècles), Bruxelles, 2007.
- Halleux, Robert en Xhayet, Geneviève, La liberté de chercher: Histoire du Fonds national de la recherche scientifique, Liège, 2007.
- Geschiedenis van het FWO, site web, consulté le 20/05/2019.
- Mertens, André, Ockeley, Jaak en Vandeweyer, Luc,Het PIVO in Zellik-Relegem. Van luchtmachtbasis tot vormingscentrum, Louvain, 2011.
Images
- “Switzerland. 10 miles above the Earth. Professor Piccard and Dr Kipfer, safe and sound after World's most daring and romantic scientific adventure”, in: Pathé Gazette, 1931. (images du premier vol du FNRS)
- “Get Piccard’s balloon”, in: Paramount Sound news, 1931. (images du premier vol du FNRS)
- “Zurich, Switzerland. 10 1/2 miles above the earth! Professor Piccard & Dr. Cosyns safe & sound after World's most daring & romantic scientific adventure”, in: Pathé Gazette, 1932. (images du deuxième vol du FNRS)
- "Italy. Safe - Sound & Serene! After the most amazing air adventure ever - in his stratosphere balloon, Professor Piccard & Dr. Cosyns descend near Lake Garda", in: Pathé Gazette, 1932. (images du deuxième vol du FNRS)
- "Stratosphere alloon Destroyed", in: Gaumont British News, 1937. (images du troisième vol du FNRS, infructueux)
- "Professor Piccard & Diving Bell", in: Aktuelles in Kurze, 1948. (images du voyage du FNRS II d’Anvers à Dakar)
- "Prof. Piccard Tests Bathysphere - Diving Off Capri", in: Pathe newsreels, 1953. (images de la plongée du Trieste)