À la conquête de la politique scientifique : Duel Rue de la Science
Les Caïds pouvaient avoir le sourire. ‘Les Caïds’, c’était le surnom que l’on donnait au début des années 60 à Jean Willems (deuxième en partant de la droite sur la photo) et Marcel Dubuisson. Le premier était secrétaire général du FNRS ; le second était recteur de l’Université de l’État à Liège. Ce soir du 5 mai 1959, la Commission Nationale des Sciences dont ils avaient suscité l’existence clôturait ses travaux au Palais des Académies, en présence du roi Baudouin et du gouvernement. Les deux compères avaient obtenu une grande victoire : un refinancement massif de la recherche fondamentale en Belgique par les pouvoirs publics. Ils allaient cependant bientôt découvrir que le financement public de la recherche avait un prix…
Un pied dans la porte (de la science)
Marcel Dubuisson, de son côté, était en position de force. À ses yeux, la marge de manœuvre de la Commission Nationale des Sciences était nécessairement limitée, vu le peu de temps dont elle avait disposé dans ses travaux. Aussi avait-il lui-même préconisé, dans un rapport de sous-commission, la mise en place d’un Conseil National de la Recherche et de l’Enseignement supérieur. Ce Conseil serait composé de représentants des milieux scientifiques, économiques et sociaux, nommés par le gouvernement. Le CNRES dirigerait de facto la science en Belgique : il serait chargé d’étudier en permanence les moyens d’améliorer la situation des institutions de haut enseignement et de recherche, pourrait rendre de sa propre initiative des avis au gouvernement, lequel serait dans l’obligation de le consulter pour prendre des décisions (notamment financières) sur la science. Contrairement au Ministère des Affaires culturelles, le Conseil disposerait de services administratifs.
Scientia potestas est
L’assaut
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L'article original de Virgile Royen peut être consulté ici : File:À la conquête de la politique scientifique 2.pdf
Sources
- Documents parlementaires, Chambre, session 1967-1968, doc. n°551, 1er février 1968, « Proposition de loi créant un Institut National de la Recherche Scientifique Fondamentale ».
- La Relève, 27e année, n°31-37 (numéro commémoratif en l’honneur de Jacques Spaey), 11/09/1971.
- Un effort national en faveur de la science. Discours prononcés lors de la séance académique tenue le 5 mai 1959 en présence de Sa Majesté le Roi au Palais des Académies, Bruxelles, [s.n.], [1959].
- OCDE, Politiques nationales de la science : Belgique, Paris, OCDE, 1966.
- Spaey, J. (dir.) et al., Le développement par la science. Essai sur l’apparition et l’organisation de la politique scientifique des États, Paris, UNESCO, 1969.
- Herinneringen aan Jean Willems (1895-1970), Bruxelles, FWO, 1972.
- Dubuisson, M., Mémoires, Liège, Vaillant-Carmanne, 1977.
- Conseil National de la Politique Scientifique, Rapport d’activité (1972-1979), Bruxelles, 1980.
- Molitor, A., Servir l’État, UCL, Louvain-la-Neuve, 1982.
- Fox, C. R., Le Château des Belges. Un peuple se retrouve, 3e éd., traduction de Weber E.,Bruxelles, Duculot, 1997.
Littérature
- Halleux, R. et al., Histoire des sciences en Belgique (1815-2000), t. II, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 2001.
- Dujardin, V., Pierre Harmel, Bruxelles, Le Cri, 2004.
- Bertrams, K., Université & Entreprises. Milieux académiques et industriels en Belgique (1880-1970), Bruxelles, Le Cri, 2006.
- Halleux, R., Xhayet, G., La liberté de chercher. Histoire du Fonds national belge de la recherche scientifique, Liège, Éditions de l’Université de Liège, 2007.
- Bertrams, K. et al., Pour une histoire de la politique scientifique en Europe (XIXe-XXe siècles) : actes du colloque des 22 et 23 avril 2005 au Palais des Académies, Bruxelles, Académie royale des Sciences, 2007.
- Pirot, P., « La ‘Commission nationale des sciences’ et l’émergence d’un concept de politique scientifique en Belgique » in Malpangotto, M., Jullien, V., Nicolaidis, E., L’homme au risque de l’infini. Mélanges d’histoire et de philosophie des sciences offerts à Michel Blay, Bruxelles, Brepols, 2013. (Coll. « De Diversis Artibus », t. 93).
- Pirot, P., La dynastie belge et la science, Thèse de doctorat en histoire, inédit, Université de Liège, année académique 2014-2015.
- Halleux, R. et al., Tant qu’il y aura des chercheurs, Liège, Luc Pire, 2015.
- ↑ Pirot, Pascal, « La ‘Commission nationale des sciences’ et l’émergence d’un concept de politique scientifique en Belgique » in Malpangotto, M., Jullien, V., Nicolaidis, E., L’homme au risque de l’infini. Mélanges d’histoire et de philosophie des sciences offerts à Michel Blay, Bruxelles, Brepols, 2013. (Coll. « De Diversis Artibus », t. 93), p. 401-402.
- ↑ Molitor, A., Servir l’État, UCL, Louvain-la-Neuve, 1982, p. 131.
- ↑ Dubuisson, M., Mémoires, Liège, Vaillant-Carmanne, 1977, p. 441.
- ↑ En parallèle, deux autres institutions de direction de la politique scientifique furent créées : le Comité ministériel de la Politique scientifique (regroupant tous les ministres susceptibles de subsidier des recherches scientifiques fondamentales ou appliquées, sous la présidence du Premier Ministre) et la Commission interministérielle de la Politique scientifique (regroupant de hauts fonctionnaires des susdits ministères, pour coordonner l’exécution des décisions prises par leurs chefs).
- ↑ OCDE, Politiques nationales de la science : Belgique, Paris, OCDE, 1966, p. 32-35.
- ↑ Parmi les autres vice-présidents, on retrouve Hubert Ansiaux, directeur de la Banque Nationale ; Corneel Heymans, professeur à l’Université de Gand et Prix Nobel de Médecine ; Jean Willems pour le FNRS (qui quitta le Conseil en 1964) ; et Henri Janne, prorecteur de l’Université Libre de Bruxelles.
- ↑ Si l’on croit Dubuisson, le Premier Ministre Théo Lefèvre finit par offrir à Massart le rectorat du Centre universitaire d’Anvers afin de s’en débarrasser. Il fut remplacé par Jef Rens, haut fonctionnaire socialiste au long cours.
- ↑ Et donc membre du Ministère de l’Instruction publique. Darimont était socialiste. Halleux, R., "La marche des idées" in Halleux, R. et al., Histoire des sciences en Belgique (1815-2000), t. II, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 2001, p. 25.
- ↑ Cité dans « Jacques Spaey vu par ses collaborateurs » in La Relève, 27e année, n°31-37, 11 septembre 1971, p. 2.
- ↑ Spaey, J.(dir.) et al., Le développement par la science. Essai sur l’apparition et l’organisation de la politique scientifique des États, Paris, UNESCO, 1969 , respectivement, p. 99 et p. 84.
- ↑ OCDE, Politiques nationales de la science : Belgique, Paris, OCDE, 1966, p. 20, p. 36-38.
- ↑ Idem, p. 102.
- ↑ Cité d’après Halleux R. et al., Tant qu’il y aura des chercheurs, Liège, Luc Pire, 2015, p. 141.
- ↑ « Les travaux sont orientés par des statistiques dont tout le monde sait qu’elles peuvent être présentées d’’une manière’, on perd beaucoup de temps à les commenter, et puis, comme il faut à un moment donné finir, on hâte le travail en approuvant des textes d’autant plus volumineux que l’on a eu moins de temps pour les faire courts. » écrit Marcel Dubuisson. Dubuisson, M., Mémoires, Liège, Vaillant-Carmanne, 1977.
- ↑ Les autres recteurs revinrent sur leurs démissions, et insistèrent tant et si bien auprès de Dubuisson que celui-ci réintégra le Conseil en 1970. Il le quitta pourtant à nouveau dès le printemps 1971 : blessé par la loi du 24 mars 1971 sur la réforme du fonctionnement des universités de l’État, qui restreignait leur autonomie et leur avait été imposée en mépris de leur opposition, il abandonna l’hermine rectorale.
- ↑ Libéraux et socialistes s’y étaient opposés tout au long des années 60 ; mais le formateur social-chrétien Paul Vanden Boeynants était parvenu à arracher cette concession au Parti Socialiste Belge dans l’accord de coalition du 12 juin 1968. Molitor, A., Servir l’État, UCL, Louvain-la-Neuve, 1982, p. 137.
- ↑ Entre 1954 et 1965, sur 25 institutions d’enseignement supérieures en Belgique, seules six étaient exclusivement néerlandophones ; et les centres de recherche flamands souffraient d’un sous-financement et sous-équipement notoire. La majorité des bourses FNRS était encore accordée à des francophones, tout comme les subsides du FRSM, de l’IRSIA, de la FU... Les statistiques montrent cependant que le déficit de vocations scientifiques en Flandre expliquait en partie ce déséquilibre. Vanpaemel, G. ; Van Camp, B., “Wetenschapsbeoefening” in Nieuwe Encyclopedie van de Vlaamse Beweging, t. III, p. 3721-3723.
- ↑ Jean Willems en 1967, cité d’après Halleux R. et al., Tant qu’il y aura des chercheurs, Liège, Luc Pire, 2015, p. 166.
- ↑ Documents parlementaires, Chambre, session 1967-1968, doc. n°551, 1er février 1968, « Proposition de loi créant un Institut National de la Recherche Scientifique Fondamentale », p. 1.
- ↑ Idem, p. 3-4.
- ↑ Halleux, R. et al., Tant qu’il y aura des chercheurs, Liège, Luc Pire, 2015, p. 167-168