Baekeland, Leo Hendrik (1863-1944)

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Baekeland au zoo de Berlin en 1932. Source : la famille Baekeland

Chimiste, inventeur, entrepreneur et ingénieur chimiste, né à Gand le 14 novembre 1863 et mort à Beacon dans l’État de New York le 23 février 1944.

Carrière

Leo Baekeland était le fils de Rosalie Merchie (1833-1914), une aide-ménagère, et de Carolus Baekeland (1830-1902), un cordonnier et aubergiste. Il a grandi à Gand, où les cours donnés à l’École industrielle l’ont poussé à s’intéresser aux sciences et aux technologies appliquées. Grâce à une subvention et au soutien des mentors locaux, il a poursuivi ses études à la Faculté des Sciences au sein de l’Université de Gand. C’est dans cette université que Baekeland s’est spécialisé en chimie et qu’il a obtenu son doctorat le 23 juillet 1884. Ensuite, il semblerait que Baekeland se soit tout d’abord dirigé vers une carrière académique. Il a continué à travailler à l’Université de Gand en tant que préparateur et assistant du cours de chimie générale qui était enseigné par Théodore Swarts. Il a également été nommé professeur de chimie et de physique à l’École normale supérieure du gouvernement de Bruges. Par ailleurs, en 1887, il a remporté un concours interuniversitaire grâce à une étude concernant la dissociation du nitrate de plomb. En 1889, il a été promu professeur agrégé (spécial) au sein de l’université, peu de temps avant d’épouser la fille de Swarts.

Toutefois, lui et Céline Swarts sont partis s’installer aux États-Unis juste après leur mariage à la suite de la pression de Baekeland. C’est dans ce pays qu’on lui a proposé de devenir chercheur en chimie dans la grande entreprise de photographie E. and HT Anthony & Co., dont le siège se trouve à New York. Après environ un an, Baekeland donnait déjà sa démission de chez E. and HT Anthony & Co., ce qui a étonné son employeur. Cependant, il n’a pas cédé aux demandes de sa femme pour rentrer en Europe. Il avait pour ambition de bâtir une carrière d’inventeur et d’entrepreneur dans le « Nouveau Monde », à l’instar de Thomas Edison et d’Alexander Bell. Au cours de la deuxième moitié des années 1890, il a inventé le Velox, un papier photographique qu’il a développé, qui a été repris par des photographes amateurs.

Pendant la Première Guerre mondiale, Baekeland a même eu l’occasion de travailler avec Edison : la Société américaine de chimie l’a désigné comme membre du Naval Consulting Boardqui était dirigé par Edison. Pendant et après la guerre, Baekeland était également actif au sein du prestigieux Conseil national de la recherche, où il s’est entre autres concentré sur la réorganisation du système de brevets américain. En 1917, Baekeland a été engagé comme professeur honoraire par le Département de génie chimique de l’Université de Colombia, situé à New York. Baekeland a contribué aux préparatifs et aux efforts de guerre, ce qui l’a fait connaître auprès d’un public plus large. Dans son journal intime, il a écrit en 1915 : « I am placed among the celebrities and criminals nowadays » [ À l’heure d’aujourd’hui, je figure parmi les célébrités et les criminels ].[1]

Avant la Première Guerre mondiale, Baekeland était déjà connu comme l’inventeur de la bakélite (à savoir le premier plastique synthétique) parmi les scientifiques, ingénieurs et entrepreneurs. En 1907, Baekeland et son collaborateur Nathaniel Thurlow sont parvenus à créer une nouvelle résine phénolique en polymérisant le phénol avec du formaldéhyde à l’aide d’une réaction de condensation.La poursuite du développement et la commercialisation de tout un éventail de variantes de ce produit, que Baekeland qualifiait initialement de « Bakalite » mais qu’il a ensuite promu sous le nom de « Bakélité » pour une question de cohérence, auraient permis à Baekeland de se forger une réputation et de construire une future carrière considérable. En collaborant avec ses représentants du brevet, il est parvenu à se construire une solide position d’appropriation intellectuelle, non seulement dans l’Amérique du Nord, mais aussi en Europe et dans d’autres endroits du monde. Les nombreux procès et autres implications juridiques qui ont eu lieu, ont initialement ralenti le développement de l’industrie de résines phénoliques, ce qui a toutefois permis à Baekeland et à ses collaborateurs d’exercer un contrôle sur l’industrie.

Après expiration des différents brevets de Baekeland en 1926, la production de résines phénoliques est montée en flèche puisque les technologies étaient accessibles à tous. Malgré l’augmentation de la concurrence, la Bakelite Corporation, qui était dirigée par Baekeland, a pu conserver une position dominante dans l’industrie américaine du plastique. L’entreprise de Baekeland contribuait également au développement d’un nombre toujours plus élevé de demandes pour la bakélite. On la présentait également comme « the material of a thousand uses » [ le matériel aux milliers de possibilités d’utilisation ]. Les radios, téléphones et étuis à cigares en bakélite étaient les plus demandés. La bakélite était également utilisée, par exemple, dans les vernis et dans les stratifiés, ce qui était moins connu.

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Baekeland (quatrième à partir de la gauche) à la Maison Blanche, entre sa femme Céline Swarts et le président Calvin Coolidge.
Source: National Photo Company Collection, Library of Congress’

En tant que dirigeant d’entreprise, Baekeland a fait très peu de recherches personnelles après la Première Guerre mondiale. Cependant, ses entreprises engageaient un nombre relativement élevé de scientifiques et d’ingénieurs, et il accompagnait également des chercheurs doctorants et post-doctorants de l’Université de Columbia qui étaient financés par son entreprise. L’une des dernières décisions prise par Baekeland au cours de sa carrière concernait l’approbation pour le rachat de la Bakelite Corporation par l’Union Carbide et Carbon Corporation en 1939. Baekeland espérait, en vain, que son fils George Washington soit à la tête du nouveau département de bakélite de l’Union Carbide. Le mari de sa fille Nina travaillait également pour la Bakelite Corporation. Toutefois, la famille Baekeland ne construira pas de dynastie économique. Après que George a pris sa retraite anticipée au milieu des années 1950, plus aucun membre de la famille n’a été encore actif dans l’industrie de plastique qui était en plein essor.


Inventions et entreprises

Leo Baekeland n’a pas uniquement fondé la Bakelite Corporation. La plupart de ses autres entreprises lui ont servi à commercialiser ses propres inventions. Toutefois, il était aussi impliqué dans le développement et la commercialisation de technologies pensées par d’autres scientifiques et ingénieurs. À l’Université de Gand, Leo Baekeland a érigé Dr. Baekelandt et Cie, une société commanditaire dans l’industrie de la photochimie, avec l’aide de son collègue Jules Guequier et de son épouse Valérie Gleesener. Leo Baekland s’occupait du développement de la technologie de l’entreprise et avait renoncé à ses droits de propriété intellectuelle. Quant à ses partenaires, ils géraient les aspects propres à l’entrepreneuriat et à la gestion d’entreprise. La société misait sur une plaque de verre photographique sur laquelle une image latente pouvait être développée automatiquement une fois la plaque plongée dans l’eau. Cette invention avait pour objectif de faciliter l’utilisation du procédé de photographie argentique sur gélatine qui avait le vent en poupe à cette époque. De manière générale, elle avait été bien reçue par le milieu de la photographie. La technique n’était cependant pas tout à fait au point et les dettes se sont rapidement accumulées pour Dr. Baekelandt et Cie. Ces problèmes financiers ont donné naissance à des tensions entre Leo Baekeland et ses partenaires, tensions qui sont probablement à l’origine du départ de Baekeland pour les États-Unis en 1889 et de sa décision d’y vivre définitivement.

À Yonkers, à New York, Leo Baekeland a fondé une nouvelle entreprise portant le nom de Nepera Chemical Company. Contrairement à Dr. Baekelandt et Cie, Nepera a connu un franc succès. La vente définitive de l’entreprise à George Eastman de la Eastman Kodak Company en 1899 a marqué un tournant dans la vie de Leo Baekeland : à partir de ce moment-là sa famille et lui pouvaient davantage profiter de la vie grâce au produit de la vente. Commercialisé en 1895 sous le nom de « Velox », le produit le plus réputé de Nepera était un papier photographique en gélatino-chlorure d’argent. Grâce au Velox, les amateurs pouvaient eux-mêmes développer leurs photos à la lumière artificielle. Outre la bakélite, le Velox est généralement considéré comme l’« invention la plus importante de Baekeland ». Comme de coutume dans l’industrie de la photographie, Nepera s’est engagée à ne rien dévoiler sur la composition de l’émulsion photographique contenue dans le papier. De plus, en vendant la compagnie à G. Eastman, Leo Baekeland et ses partenaires, le financier Leonard Jacobi et le chimiste Albert Hahn, n’avaient d’autre choix – puisque liés par un contrat – que de garder secrète cette composition. Leo Baekeland a également tenu des propos contradictoires quant à la période et les conditions dans lesquelles il a découvert le Velox. L’émulsion utilisée pour le Velox reposait probablement sur des recherches menées par Leo Baekeland à l’époque où il était encore lié à Dr. Baekelandt et Cie à Gand ou à Anthony & Co à New York. Leo Baekeland ne l’a sans doute pas avoué en raison des considérations juridiques. Josef Maria Eder, un photochimiste autrichien de renom, a plus tard envisagé que Leo Baekeland s’était inspiré d’une de ses publications d’une émulsion. Cependant, d’autres scientifiques ont mis en exergue les différences entre l’émulsion de Leo Baekeland et celle de J. Eder et de son collègue, Giuseppe Pizzighelli.

Dans les années qui ont suivi la vente de Nepera à G. Eastman, Leo Baekeland a été co-fondateur de l’American Fireproofing & Cement Company, de l’American Retting Company et de la Continental Flax Company. Ces trois entreprises commercialisaient des inventions d’autres Belges ou d’Américains d’origine belge. Leo Baekeland a également travaillé dans le domaine de l’électrochimie, notamment lors d’un séjour d’études à l’Université technique de Berlin. Il a aussi occupé un poste de consultant en chimie. Son client le plus important était la Development and Funding Company, le précurseur de la Hooker electromechanical Company. Development and Funding (D&F) a investi dans le développement de la cellule Townsend, grâce à laquelle le chlorure de sodium pouvait être transformé en hydroxyde de sodium et en chlore via électrolyse. Leo Baekeland a notamment modifié à plusieurs reprises la cloison qui séparait les deux parties de la cellule de Townsend. Il a également conseillé son client sur le basculement d’une production expérimentale avec quelques cellules d’essais vers une production à grande échelle de soude caustique dans une nouvelle usine, située près des chutes du Niagara. Lors des premières années de cette usine, les riverains mais surtout les travailleurs de D&F étaient régulièrement exposés à du chlore gazeux, ce qui a respectivement entrainé des dommages aux biens et des problèmes de santé. Leo Baekeland a critiqué hors des murs de la fabrique les conditions de travail chez D&F, tout en défendant l’entreprise à titre de témoin expert lors des procès intentés par des résidents locaux.

L’expérience de Leo Baekeland dans la photochimie et dans l’électrochimie lui a permis d’approcher autrement que ses prédécesseurs la réaction entre le phénol et le formaldéhyde. Il a commencé à se pencher plus attentivement sur cette réaction à la suite de la hausse des prix du camphre, produit obtenu à partir des camphriers de l’actuel Taïwan, à l’époque de la guerre russo-japonaise de 1904-1905. À l’instar de beaucoup d’autres inventeurs, Leo Baekeland espérait développer une alternative synthétique au camphre. Pour ce faire, il a engagé M. Thurlow, électrochimiste qui, plus tôt, avait déjà inventé un procédé de camphre synthétique. Les produits de condensation phénol-formaldéhyde obtenus par Leo Baekeland et M. Thurlow semblaient cependant plus adéquats pour remplacer la gomme-laque, une substance résineuse sécrétée par un insecte que l’on retrouve aussi en Asie. L’année 1907 est synonyme d’une importante découverte pour Leo Baekeland qui a, sans le vouloir, obtenu un nouveau produit de condensation pouvant être durci, formant ainsi un plastique insoluble et thermorésistant qui pourrait faire de l’ombre au caoutchouc et au celluloïd. Il aura fallu attendre trois ans avant que la première société de bakélite ne naisse à Erkner, près de Berlin. La General Bakelite Company américaine lui a emboité le pas en octobre 1910. Au début des années 1920, General Bakelite a fusionné avec ses deux concurrents les plus importants : la Condensite Company of America et la Redmanol Chemical Products Company. Cette fusion a donné naissance à la Bakelite Corporation.


Publications scientifiques

La plupart des publications scientifiques de Leo Baekeland abordent plusieurs aspects de ses propres inventions dans les industries de la photographie, de l’électrochimie et du plastique. La principale exception : l’étude de grande ampleur sur la dissociation du nitrate de plomb, avec laquelle il a gagné le concours interuniversitaire belge de recherche en 1887. Il a publié les résultats de cette étude en 1890 en français et en 1904 dans un article anglais paru dans le Journal of the American Chemical Society.

La présentation de son rapport de recherche sur « The Synthesis, Constitution and Uses of Bakelite » au département new-yorkais de l’American Chemical Society en 1909 représente l’un des points culminants de la carrière de Leo Baekeland. L’article « Phenol Resins and Resinoids » (Industrial and Engineering Chemistry, 1925) qui s’appuie sur une thèse de doctorat de Howard L. Bender supervisée par Leo Baekeland à l’Université de Columbia, a contribué à la compréhension plus fondamentale de la structure des résines phénoliques. En 1903, lors du 5th International Congress of Applied Chemistry à Berlin, Leo Baekeland a rédigé et présenté pas moins de 8 des 22 rapports lors des sessions consacrées à la chimie photographique. Ces rapports ont également été publiés, mais n’ont pas rencontré un succès aussi grand que les publications suivantes de Leo Baekeland sur la bakélite.


Reconnaissance

Leo Baekeland a chapeauté le Chemists’Club à New York en 1904, l’American Electrochemical Society en 1909, l’American Institute of Chemical Engineers en 1912 et l’American Chemical Society (ACS) en 1924. Il a reçu plusieurs prix, dont le prix Willard-Gibbs du département de Chicago de l’ACS et la médaille Perkin du département américain de la Society of Chemical Industry. En outre, il a obtenu entre autres des doctorats honorifiques de l’Université de Pittsburgh et de l’Université d’Édimbourg, et en 1935, il a été élu à l’Académie nationale des sciences des États-Unis. En 1924, il apparaissait en première page du Time Magazine qui le décrivait en 1939 comme le « père du plastique ». En 1999, le Time le plaçait dans le classement des 100 personnes les plus influentes du XXe siècle.


Bibliographie

Bijker, Wiebe E., Of Bicycles, Bakelites, and Bulbs: Toward a Theory of Sociotechnical Change, Cambridge, MA: MIT Press, 1995.

Kaufmann, Carl B., 'Grand Duke, Wizard and Bohemian: A Biographical Profile of Leo Hendrik Baekeland (1863–1944).' Masterproef, University of Delaware, 1968.

Meikle, Jeffrey L., American Plastic: A Cultural History New Brunswick, N.J: Rutgers University Press, 1995.

Mercelis, Joris., Beyond Bakelite: Leo Baekeland and the Business of Science and Invention, Cambridge, MA: MIT Press, 2020.

Morris, Susan W., 'Resource Networks: Industrial Research in Small Enterprises, 1860–1930', Doctoraatsverhandeling, Johns Hopkins University, 2003.

Wautier, Kristel, en Danny Segers., "Nothing succeeds like success”: Het levensverhaal van Leo Baekeland, de uitvinder van het bakeliet", Heemkundige kring De Oost-Oudburg v.z.w., jaarboek xliv (2007): 125-78.

Notes

  1. Leo Baekeland, diary 19 (28 March 1915), in Leo H. Baekeland Papers, Archives Center, National Museum of American History, Smithsonian Institution, Washington, DC, series 4, box 19, folder 5.