Dubuisson, Marcel Georges Valère Céline (1903-1974)

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Bron: Liber Mémorialis. L’Université de Liège de 1936 à 1966, Luik, 1967.

Microbiologiste, physiologiste, biologiste marin, professeur puis recteur à l’Université de Liège, né à Olsene le 5 avril 1903 et décédé à Liège le 25 octobre 1974. Époux d’Adèle Brouha.



Biographie

Le scientifique


Marcel Dubuisson fut proclamé docteur en zoologie en 1924 à l’Université de Gand. Il désirait continuer sa carrière dans la recherche scientifique, mais peina au début à se trouver un poste, au point de devoir gagner sa vie en fabriquant des TSF. Il travailla un temps dans le département de zoologie de l’Université de Gand, sous la direction du professeur Victor Willem. En 1925, il entra à la Faculté de Médecine de l’Université de Gand, comme prosecteur au laboratoire d’anatomie, puis comme assistant du professeur Georges Leboucq. En 1928, il fut promu chef de travaux. La même année, il effectua un voyage d’étude au laboratoire de Banyuls-sur-Mer puis mena des recherches dans les stations de Wimereux et Overmeire. Dubuisson séjourna ensuite au laboratoire maritime de Woods-Hole dans le Massachusetts, comme Commission for Relief in Belgium Advanced Fellow. Il fut mandataire pour le FNRS de 1928 à 1931.


La flamandisation de l’Université de Gand était alors imminente. Marcel Dubuisson s’était engagé dans les mouvements politiques s’opposant à cette transformation et enseigna de 1926 à 1931 à l’École des Hautes Études de Gand, l’institution privée établie par les industriels gantois pour compenser la disparition progressive du français à l’Université de l’État. Le 2 avril 1930, la loi de flamandisation intégrale est promulguée. Dubuisson, compromis politiquement, voit sa carrière s’écrouler, mais il est alors (selon ses dires) « sauvé in extremis » par Jules Duesberg, biologiste et recteur de l’Université de l’État à Liège, qui lui offre un poste de chargé de cours à la chaire nouvelle de Biologie générale à l’Université de Liège.[1] Petit-à-petit, cette charge s’enrichit des cours d’Éléments de zoologie, pharmacie, géographie, géologie et minéralogie. Dubuisson entreprit aussi de nouveaux voyages d’étude. En 1936, il devint professeur ordinaire et retourna aux États-Unis, où il mena des recherches au sein du Rockefeller Institute for Medical Research à New York. En 1938, devenu doyen de la Faculté des Sciences, il travailla un temps au laboratoire de Meyerhof pour effectuer des analyses chimiques du phénomène de contraction musculaire. De 1945 à 1947, il était en outre professeur à la Faculté de Médecine de l’Université d’Alger, à la chaire des « Actualités scientifiques ». Il y découvrit la plongée sous-marine.


Pendant la guerre, il s’engagea dans la Résistance et fut un temps emprisonné pendant l’hiver 1941. Cet engagement lui valut la Médaille de la Résistance, la Croix civique première classe (1940-1945) et la Médaille de prisonnier politique. En 1947, Dubuisson hérita des nombreux cours de zoologie du professeur Désiré Damas admis à l'éméritat, et prit la direction de l’Institut de Zoologie de l’Université de Liège. Il les consacra plus spécialement à la biologie maritime, un domaine d’étude pour lequel l’Université de Liège avait une prédilection de longue date.

’Le dernier prince-évêque de Liège’


En 1954, Dubuisson devint recteur de l’Université de Liège – et le resta pour pas moins de dix-sept ans ! C’était une nouvelle époque qui s’ouvrait pour l’Alma Mater mosane : la loi du 1er mai 1953, arrachée au pouvoir politique par son prédécesseur, Ferdinand Campus, avait considérablement étendu l’autonomie des universités d’État.[2] Le recteur en profita pour multiplier les initiatives ambitieuses.


En 1967, il lança l’expédition belge vers la Grande Barrière de Corail, en Australie, un territoire doté d’une flore et d’une faune particulièrement riches et encore peu exploré. L’expédition de Dubuisson n’était que la troisième à explorer ces eaux. Une des particularités de cette aventure fut l’usage d’une caméra. Les images furent rendues publiques en 1969 sous la forme d’un film complet intitulé La grande Barrière de Corail. Les échantillons récoltés lors de l’expédition furent rapportés au Musée de l’Aquarium, lancé en 1962 au sein des murs de l’Institut de Zoologie de l’Université de Liège. Cet Aquarium porte encore le nom du recteur. En outre, Dubuisson fut le fondateur de la station océanographique de STARESO, à Calvi, en Corse.

| Pour en savoir plus sur l'expédition belge vers la Grande Barrière de Corail, consultez cette page.


Marcel Dubuisson joua aussi un rôle considérable dans le développement (tardif) des initiatives liégeoises au Congo belge. C’est à lui et au professeur Raymond Bouillenne que l’on doit l’initiative des mandats de chercheurs au Congo financés par le Patrimoine Universitaire de Liège (1953). Début 1956, le nouveau recteur obtint lui-même un de ces mandats pour un séjour au Katanga du 23 avril au 19 juin, afin de récolter des données, de prendre des contacts et d’élaborer un « Plan d’action coloniale ». Dubuisson retourna encore à Élisabethville en juillet-août, à l’occasion du cinquantenaire de l’Union Minière du Haut-Katanga : il y rencontra les responsables de l’entreprise et établit les accords à la base de la Fondation de l’Université de Liège pour les Recherches Scientifiques en Afrique centrale créée trois jours avant son départ par la Commission administrative du Patrimoine Universitaire. Il prendra lui-même la présidence de cette fondation. En 1958, Dubuisson entra aux conseils d’administration de l’Institut pour la Recherche scientifique en Afrique centrale et de l’Institut des Parcs Nationaux du Congo.
Lors de la sécession de l’État du Katanga, Marcel Dubuisson, proche ami du président katangais Moïse Tshombe, fut chargé à plusieurs reprises par la diplomatie belge de missions politiques délicates et continua ses aller-retour entre Liège et Élisabethville. De même, le recteur ferma longtemps les yeux sur les absences du professeur liégeois René Clémens (principal conseiller du président Tshombe jusqu’en avril 1961). La reconquête du Katanga par les troupes des Nations Unies au service du gouvernement de Léopoldville ne mit pas un terme à son intérêt pour l’Outre-Mer : le recteur créa ainsi en 1964 un Centre d’Études pour les pays en développement (CEDEV) au sein de la Faculté de Droit, dans l’objectif de former les jeunes diplômés tentés par une carrière dans ce qu’on commençait à appeler « le Tiers-Monde ». Il continua jusqu’à la fin de sa vie à promouvoir l’action de la FULREAC et à défendre les Parcs Nationaux congolais et rwandais, ainsi qu’à encourager la recherche scientifique dans ces Parcs.


Marcel Dubuisson reste dans les mémoires comme un des recteurs les plus respectés de l’histoire de l’Université de Liège, maître-organisateur de son université et de la direction scientifique de son pays, rompu aux bras de fer avec le pouvoir de tutelle pour obtenir des autorités publiques les crédits et la marge de manœuvre à la mesure de ses ambitions. Il développa considérablement l’administration de l’Université, lança la construction du nouveau campus du Sart Tilman où déménagèrent la plupart des facultés anciennement dispersées dans le centre-ville de Liège (ce qui lui valut le surnom de « recteur-bâtisseur »), mit en place la Commission Nationale des Sciences et y obtint des pouvoirs publics une vaste refinancement de l’enseignement supérieur et de la recherche. Familier des coulisses ministériels, proche conseiller du jeune roi Baudouin, grand ami du directeur du FNRS et de la Fondation Universitaire Jean Willems, d’aucuns le surnommaient le « dernier prince-évêque de Liège ».[3]

| Pour en savoir plus sur le rôle du recteur Dubuisson dans la naissance de la politique scientifique en Belgique, consultez cette page et cette page.


Mais le « prince-évêque » subit aussi des revers : le Conseil National de la Politique Scientifique qu’il avait créé lui échappa ; la construction du campus de Louvain-la-Neuve après 1968 tarit brusquement le financement du déménagement de l’Université de Liège au Sart Tilman ; son autorité fut directement contestée lors de la révolte étudiante de 1968 ; et le pouvoir politique, s’engageant dans cette brèche, remit en question l’autonomie des universités de l’État. Indigné par l’indifférence du gouvernement pour les nombreuses critiques adressées par les universitaires aux projets de loi de réforme des statuts des universités, Dubuisson abandonna l’hermine rectorale en septembre 1971. Il décéda trois ans plus tard dans un accident de voiture.

Travaux

Au départ, le jeune chercheur Dubuisson marcha sur les pas de Victor Willem dans le domaine de la pharmacologie et de la physiologie comparée. Il publia en 1927 ses premières observations sur les muscles des moules et sur l’usage médicinal des sangsues. Au cours de son séjour au laboratoire d’Arago de Banyuls-sur-Mer, il observa les mouvements synchrones de respiration et les battements de cœur des crevettes d’eau douce. Il analysa ensuite la pression sanguine des décapodes (comme les écrevisses, par exemple). À Woods-Hole, il étudia les battements du cœur du xiphosure de l’Atlantique et les enregistra à l’aide d’un oscillographe cathodique. Il rassembla les résultats de ses recherches menées entre 1928 et 1931 sur le système cardio-vasculaire des invertébrés dans un ouvrage publié par l’Académie en 1931. En 1933, il publia un aperçu général de la physiologie des muscles cardiaques des invertébrés marins : L'état actuel de nos connaissances sur la physiologie du muscle cardiaque des Invertébrés. Ces recherches lui valurent une renommée internationale en biochimie et en biophysique du muscle.
Dubuisson mena aussi des recherches sur les variations chimiques et physiques des contractions musculaires chez les invertébrés marins. Il mena à cette fin une étude moléculaire : il analysa les variations de la myosine, une protéine au rôle primordial dans la contraction musculaire. En 1937, il mit au point une technique d’observation destinée à mesurer les variations du potentiel hydrogène dans la contraction musculaire. Cette recherche courut jusqu’en 1940 et il en tira pas moins de huit publications. Il mena ensuite, de 1939 à 1953, des recherches sur les protéines musculaires. Là encore, il développa une technique d’observation inédite. En 1954, il écrivit l’ouvrage de compilation Muscular contraction dans lequel il analysait les publications portant sur la contraction musculaire provenant de son laboratoire et de laboratoires étrangers.[4]
Dubuisson fut membre de la commission chargée de mettre au point le bathyscaphe Calypso. Il parvint à mesurer le potentiel hydrogène de l’eau en Mer Méditerranée, à une profondeur de plus 2600 mètres. Cette expérience stimula son intérêt pour l’océanologie.

Honneurs


Dubuisson fut admis à l’ Académie royale des sciences des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique comme membre correspondant le 3 juin 1950, comme membre effectif le 11 juin 1955 et comme président de l’Académie et de la Classe des Sciences en 1960. Il fut en outre membre associé de la Physiological Society. En 1947, il fut nommé membre correspondant de l’Académies des Sciences de Bologne.
Dubuisson reçut différents prix : en 1930, le Prix Théophile Gluge ; en 1949, le Prix Agathon De Potter ; et en 1948, le Prix Monthyon de l’Institut de France. Il fut reçu docteur honoris causa des universités d’Alger (1947), Élisabethville (1962) et Aix-la-Chapelle (1970). Il fut aussi Grand Officier de l’Ordre de la Couronne, Commandeur de l’Ordre de Léopold et Officier de la Légion d’Honneur. [5]

Publications

  • On trouve la liste des publications de Dubuisson dans : Bacq, Zénon, "Dubuisson Marcel", in: Annuaire ARB, 1980, p. 43-60.


Bibliograpie

  • « À l’Université. Hommage au Recteur Marcel Dubuisson » in Revue de l’Université de Liège, 43e année, n°2/1971 – n°1/1972, p. 18.
  • Florkin, Marcel, "Hommage à Marcel Dubuisson", in: Bulletin de la classe des Sciences. Académie royale de Belgique, 55 (1974), 1298.
  • Grogna, Nathalie, L’action de l’Université de Liège au Katanga, mémoire de licence en histoire, inédit, Université de Liège, année académique 1986-1987.
  • Bacq, Zénon, "Dubuisson Marcel", in: Annuaire ARB,1980, 21-43.
  • Bodson, Arthur, "Dubuisson, Marcel", in: Nouvelle Biographie Nationale, 11, 132-136
  • Welsch, Maurice, "In memoriam Marcel Dubuisson", in: Revue médicale de Liège, 29 (1974), 677-681.
  • Genin, V., « Clémens (René) » in Académie Royale des Sciences d’Outre-Mer, Biographie Belge d’Outre-Mer, [Online], page consultée le 22 mars 2019.
  • "Galerie des Recteurs : Marcel Dubuisson" in Université de Liège, Site de l'Université de Liège, [Online], page consultée le 22 mars 2019.


Notes

  1. « À l’Université. Hommage au Recteur Marcel Dubuisson » in Revue de l’Université de Liège, 43e année, n°2/1971 – n°1/1972, p. 18.
  2. Chacune se voyait attribuer un Conseil d’Administration, composé du recteur et des cinq doyens, compétent pour l’organisation de l’enseignement, la répartition et la gestion des crédits, les nominations et promotions du personnel scientifique et technique, sans compter un rôle accru dans les nominations au corps professoral.
  3. Fox, C. R., Le Château des Belges. Un peuple se retrouve, 3e éd., traduction de Weber E., Bruxelles, Duculot, 1997, p. 102.
  4. Bacq, Zénon, "Dubuisson Marcel", 21-43.
  5. Bacq, Zénon, "Dubuisson Marcel", in: Annuaire ARB, 1980, 21-43.