Difference between revisions of "Le talisman des agronomes"
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− | <br/>Pour les associations d’ingénieurs agronomes, pas de doute : si les portes se fermaient devant eux, c’était à cause de la moindre valeur de leur diplôme, non-reconnu comme universitaire. Cela ne leur nuisait pas seulement pour obtenir une « bonne situation » dans les administrations publiques, mais aussi dans les industries agricoles nationales et multinationales (sucrerie, distillerie et brasserie, laiterie, engrais chimiques, insecticides, construction de machines agricoles…) en pleine efflorescence. En 1937, seuls 11,8% des agronomes travaillaient dans l’agriculture, la pêche ou l’entretien des forêts privées ; 13,9% étaient au service de l’État central et 28,8% étaient à l’œuvre dans les industries.<ref>''Idem'', p. 435.</ref> Ils y faisaient face, d’une part, à la concurrence « par le haut » des doctorants des facultés des sciences et des ingénieurs civils, « dont les diplômes jouissent d’un ascendant moral, qu’à tort ou à raison ne possèdent pas ceux de nos écoles » écrit l'agronome louvaniste Pierre Mertens.<ref>Mertens, A., « L’enseignement supérieur agricole », in ''Agricultura'', 33e année, n°4, Décembre 1931, p. 166.</ref> Les ingénieurs civils, formés dans les universités, dotés d’une solide formation en sciences pures de cinq années, regroupés dans la puissante Fédération des Associations belges d’Ingénieurs (FABI), considéraient un peu les agronomes comme des fermiers à qui on aurait appris à compter, et faisaient en permanence pression sur les pouvoirs publics pour protéger les privilèges de leurs titres. D’autre part, ces mêmes agronomes subissaient la concurrence « par le bas » des « ingénieurs techniciens » et des diplômés de l’enseignement technique agricole secondaire et post-secondaire. C’était à leur tour de défendre leurs privilèges (priorité à l’embauche dans l’administration publique, refus de subir un examen supplémentaire pour enseigner dans l’enseignement moyen agricole, etc.) avec mépris. | + | <br/>Pour les associations d’ingénieurs agronomes, pas de doute : si les portes se fermaient devant eux, c’était à cause de la moindre valeur de leur diplôme, non-reconnu comme universitaire. Cela ne leur nuisait pas seulement pour obtenir une « bonne situation » dans les administrations publiques, mais aussi dans les industries agricoles nationales et multinationales (sucrerie, distillerie et brasserie, laiterie, engrais chimiques, insecticides, construction de machines agricoles…) en pleine efflorescence. En 1937, seuls 11,8% des agronomes travaillaient dans l’agriculture, la pêche ou l’entretien des forêts privées ; 13,9% étaient au service de l’État central et 28,8% étaient à l’œuvre dans les industries.<ref>''Idem'', p. 435.</ref> Ils y faisaient face, d’une part, à la concurrence « par le haut » des doctorants des facultés des sciences et des ingénieurs civils, « dont les diplômes jouissent d’un ascendant moral, qu’à tort ou à raison ne possèdent pas ceux de nos écoles » écrit l'agronome louvaniste Pierre Mertens.<ref>Mertens, A., « L’enseignement supérieur agricole », in ''Agricultura'', 33e année, n°4, Décembre 1931, p. 166.</ref> Les ingénieurs civils, formés dans les universités, dotés d’une solide formation en sciences pures de cinq années, regroupés dans la puissante Fédération des Associations belges d’Ingénieurs (FABI), considéraient un peu les agronomes comme des fermiers à qui on aurait appris à compter, et faisaient en permanence pression sur les pouvoirs publics pour protéger les privilèges de leurs titres. D’autre part, ces mêmes agronomes subissaient la concurrence « par le bas » des « ingénieurs techniciens » et des diplômés de l’enseignement technique agricole secondaire et post-secondaire. C’était à leur tour de défendre leurs privilèges (priorité à l’embauche dans l’administration publique, refus de subir un examen supplémentaire pour enseigner dans l’enseignement moyen agricole, etc.) avec mépris.<ref>Par exemple, lorsque les diplômés des écoles d'horticulture se coalisent en 1937 pour lutter contre la prétention des agronomes à monopoliser des emplois publics qu'ils estiment leur revenir de droit, le Verbond gantois republie leurs articles pour se moquer de leur orthographe et de leur manque supposé d' "''algemeene ontwikkeling''". 'Bijlage' in ''De Ingenieur-Agronoom'', September 1938, p. I-IV.</ref> |
<br/>En d’autres termes, le souci du « prestige » du diplôme était omniprésent. La scientifisation du cursus était synonyme d’emplois plus nombreux et mieux rémunérés. D'ailleurs, pour la même raison, les commissions successives refusèrent l’introduction d’un doctorat en agronomie, de peur de créer une catégorie de diplômés supérieure à celle des ingénieurs agronomes, susceptible de leur faire concurrence sur le marché de l’emploi (au grand dam du principal promoteur du doctorat en sciences agronomiques, [[Marchal, Émile Jules Joseph (1871-1954)|Émile Marchal]]). Le recul de la population étudiante était tout à fait délibéré et visait à créer « une élite de haute qualité ».<ref>Ferrand, M., « À propos de l’Enseignement Supérieur Agronomique. Courte réponse à M. le Professeur Leplae », in ''Annales de Gembloux'', 43e année, n°12, Décembre 1937, p. 413.</ref> | <br/>En d’autres termes, le souci du « prestige » du diplôme était omniprésent. La scientifisation du cursus était synonyme d’emplois plus nombreux et mieux rémunérés. D'ailleurs, pour la même raison, les commissions successives refusèrent l’introduction d’un doctorat en agronomie, de peur de créer une catégorie de diplômés supérieure à celle des ingénieurs agronomes, susceptible de leur faire concurrence sur le marché de l’emploi (au grand dam du principal promoteur du doctorat en sciences agronomiques, [[Marchal, Émile Jules Joseph (1871-1954)|Émile Marchal]]). Le recul de la population étudiante était tout à fait délibéré et visait à créer « une élite de haute qualité ».<ref>Ferrand, M., « À propos de l’Enseignement Supérieur Agronomique. Courte réponse à M. le Professeur Leplae », in ''Annales de Gembloux'', 43e année, n°12, Décembre 1937, p. 413.</ref> |
Revision as of 10:39, 26 June 2019
Des agronomes ? Sont-ils vraiment des scientifiques, pour mériter leur place sur Bestor ? Détrompez-vous. Dès l’Entre-Deux-Guerres, les instituts agronomiques belges donnèrent aux sciences naturelles une place sans cesse croissante dans leurs programmes d’enseignement. L’heure était à la biologie appliquée, à la transformation directe de la nature par la maîtrise de ses lois. Cette évolution, l’ouvrage commémoratif du centenaire de l’Institut agronomique de Gembloux (1960) l’attribue au progrès des connaissances et aux besoins nouveaux de l’agriculture…[1] Mais qu'en est-il des besoins des agronomes eux-mêmes ?
Les agronomes se rebellent
Éclairer la « classe rurale » ?
Le prestige contre le chômage
Épilogue
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Sources
Monographies
- Institut agricole de l'Etat à Gembloux. Historique, organisation, enseignement, annexes, Bruxelles, Imprimerie Xavier Havemans, 1901.
- Association des Ingénieurs sortis de l’Institut agronomique de l’État à Gembloux, Compte-rendu de la Journée des Ingénieurs agronomes de Gembloux organisée le 23 août 1930 à Liége, à l’occasion du XLe Anniversaire de la Fondation de l’Association, Bruxelles, Imprimerie Louis Vogels, 1930.
- Leplae, E., La menace de dépopulation des Instituts Supérieurs Agronomiques belges par le Programme d’étude de 1934, Louvain, Fr. Ceuterick, 1937.
- Leplae, E., Projet d’un nouveau Programme d’études pour les Instituts Supérieurs Agronomiques belges, Louvain, Établissements Fr. Ceuterick, 1937.
- Istace, A., Le grave problème des études agronomiques d’après l’interprétation des statistiques des diplômés de l’enseignement supérieur en Belgique, Gembloux, Imprimerie J. Duculot, [1946] (Extrait des Annales de Gembloux, 2e Trimestre 1946).
- Ragondet, G., Le cinquantième anniversaire de la fondation des Annales de Gembloux, Gembloux, Imprimerie J. Duculot, [1947] (Extrait des Annales de Gembloux, 2e Trimestre 1947).
- Fêtes commémoratives du Centenaire de l’Institut agronomique de l’État à Gembloux – Juillet 1960, placées sous le Haut Patronage de Sa Majesté Le Roi, Gembloux, Duculot, 1961.
- Vandamme, E., Faculteit Landbouwkundige en Toegepaste Biologische Wetenschappen. Jubileumboek (1920-1995), Gent, Snoeck-Ducaju & Zoon , 1995.
Périodiques
- Agricultura, 1928-1939.
- Annales de Gembloux, 1928-1939.
- Bulletijn van het Verbond der ingenieurs en licenciaten van de Landbouwhoogeschool van den Staat te Gent, 1929-1932.
- Bulletin de l’Institut Agronomique et des Stations de Recherches de Gembloux, v. 1, n°1, Février 1932.
- Académie Royale de Belgique, Bulletins de la Classe des Sciences, 1922, 1931.
- De Ingenieur-Agronoom, 1933-1940.
Littérature
- Woestenborghs, B., Hermans, R., Segers, Y., In het spoor van Demeter. Faculteit Bio-Ingenieurswetenschappen K.U.Leuven (1878-2003), Leuven, Universitaire Pers Leuven, 2005.
- Lagast, N., « Histoire succincte de l’enseignement supérieur en agronomie en Belgique francophone. 150 ans en 2010. » in L’Ing. 13. Bulletin trimestriel de l’UFIIB, 28, Janvier-Février-Mars 2010.
Lagast, N., Vijfhonderd jaar geschiedenis van de ingenieur, Van 1500 tot 2010, Antwerpen, Apeldoorn/Garant, 2011.
- ↑ Lecrenier, « Discours prononcé par M. le Recteur Decrenier » in Fêtes commémoratives du Centenaire de l’Institut agronomique de l’État à Gembloux – Juillet 1960, placées sous le Haut Patronage de Sa Majesté Le Roi, Gembloux, Duculot, 1961.
- ↑ À cette époque, les trois instituts étaient complètement indépendants des universités auxquels ils sont aujourd'hui annexés.
- ↑ Marchal, É., “L’Enseignement supérieur agronomique dans le cycle des hautes études » in Académie Royale de Belgique, Bulletins de la Classe des Sciences, 1921, 5e série, t. VII, Bruxelles, Maurice Lamertin, Marcel Hayez, 1922, p. 803
- ↑ Monseigneur Ladeuze, Recteur Magnifique, « Discours » in Agricultura, 1878-1929 : Numéro Jubilaire des Fêtes du Cinquantenaire de l'Institut Agronomique. Jubelnummer der Half-Eeuwfeesten van het Landbouwinstituut, 1929.
- ↑ Ferrand, M., « À propos de l’Enseignement Supérieur Agronomique. Courte réponse à M. le Professeur Leplae », in Annales de Gembloux, 43e année, n°12, Décembre 1937, p. 412.
- ↑ Woestenborghs, B., Hermans, R., Segers, Y., In het spoor van Demeter. Faculteit Bio-Ingenieurswetenschappen K.U.Leuven (1878-2003), Leuven, Universitaire Pers Leuven, 2005, p. 96.
- ↑ Leplae, E., La menace de dépopulation des Instituts Supérieurs Agronomiques belges par le Programme d’étude de 1934, Louvain, Fr. Ceuterick, 1937, p. 12, p. 26.
- ↑ Leplae, E., La menace de dépopulation des Instituts Supérieurs Agronomiques belges par le Programme d’étude de 1934, Louvain, Fr. Ceuterick, 1937, p. 13.
- ↑ Leplae, E., Projet d’un nouveau Programme d’études pour les Instituts Supérieurs Agronomiques belges, Louvain, Établissements Fr. Ceuterick, 1937, p. 3.
- ↑ Idem, p. 10.
- ↑ « Statistiques universitaires (recensement 1937) » in Annales de Gembloux, 44e année, n°12, Décembre 1938, p. 434.
- ↑ Idem, p. 435.
- ↑ Mertens, A., « L’enseignement supérieur agricole », in Agricultura, 33e année, n°4, Décembre 1931, p. 166.
- ↑ Par exemple, lorsque les diplômés des écoles d'horticulture se coalisent en 1937 pour lutter contre la prétention des agronomes à monopoliser des emplois publics qu'ils estiment leur revenir de droit, le Verbond gantois republie leurs articles pour se moquer de leur orthographe et de leur manque supposé d' "algemeene ontwikkeling". 'Bijlage' in De Ingenieur-Agronoom, September 1938, p. I-IV.
- ↑ Ferrand, M., « À propos de l’Enseignement Supérieur Agronomique. Courte réponse à M. le Professeur Leplae », in Annales de Gembloux, 43e année, n°12, Décembre 1937, p. 413.