L’annexion des Pays-Bas du sud aux Pays-Bas du nord en 1815, entraine une réorganisation radicale du paysage de l’enseignement des Pays-Bas méridionaux. À côté, des athénées et des écoles normales Guillaume Ier fonde des universités d’état à Liège, à Louvain et à Gand. Comme de coutume, elles comprennent chacune une faculté de philosophie et lettres, une faculté de droit, et une faculté de médecine. Une nouveauté intervient cependant, dans chaque institution, une faculté des sciences indépendante voit le jour, à côté également des facultés de lettres…
Des études pour les scientifiques
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Le 9 octobre 1817, l’inauguretion de l’Université d’État à Gand a lieu dans la salle du trône de l’hôtel de ville gantois. Source : Mattheus Ignatius van Bree, Rijksmuseum via Wikimedia Commons.
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Les branches scientifiques sont enseignées depuis 1810 à l’université impériale dont des ‘Académies’ sont ouvertes à Bruxelles et à Liège. Elles appartiennent au domaine de ce qui est appelé les ‘Facultés de sciences mathématiques et physiques ’'. Mais ces ‘facultés’ sont loin de proposer une éducation scientifique complète. La formation scientifique est en ligne droite avec la celle que les étudiants ont suivi aux collèges impériaux (qui ont succédés aux écoles centrales).
Les professeurs des facultés sont également en grande partie les mêmes que ceux qui donnaient les leçons aux lycées. Le but de ces institutions n’est dès lors pas non plus de diplômer des scientifiques de qualité, mais bien de renforcer le niveau de la formation des étudiants qui se destinent à suivre une formation dans des facultés supérieures, en particulier dans celle de médecine.
En outre, certains étudiants reçoivent l’accès aux branches de la faculté des sciences au moyen d’une lettre diplôme. Comme il n’y avait pas de faculté des lettres à Liège, la faculté des sciences ne comprend que quelques étudiants libres .
À l’automne 1817, les universités de Louvain, de Liège et de Gand ouvrent leurs portes. Avec la création de facultés qui leurs sont propres, les sciences ont autant de poids que les autres disciplines universitaires. Les professeurs reçoivent le même salaire que leurs collègues des autres facultés universitaires et ils deviennent – selon un tour de rôle immuable – admissible à la fonction de recteur. L’enseignement à la faculté propose une formation complète dont le programme diffère légèrement de celui proposé dans la préparation en médecine et qui permet d’obtenir un doctorat en sciences. La faculté est comme précédemment l’endroit où les candidats-aspirants médecin doivent passer un examen d’entrée. Les étudiants des facultés des sciences sont à bien des égards semblables aux étudiants des autres facultés : tout comme ces derniers, ils sont en concurrence pour obtenir des médailles aux concours universitaires et des bourses.
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À Liège, la faculté des sciences est accueillie dans un ancien bâtiment des jésuites wallons, sur les rives de la Meuse qui abritait précédemment l’École centrale et le lycée impérial. Source: Remacle Leloup, 1740, via Wikimedia Commons.
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Puisqu’elles deviennent des départements universitaires à part entière, les nouvelles facultés des sciences peuvent proposer pour la première fois, un programme de cours étendu, qui comprend diverses disciplines. À côté des mathématiques élémentaires et des mathématiques supérieures, de la physique théorique et expérimentale, de l’astronomie physique, de l’astronomie mathématique et de la chimie, les facultés des sciences proposent également de sciences naturelles comme le stipule l’[Arrêté royal du 25 septembre 1816. Les étudiants ont également des cours de zoologie, de botanique, de physiologie végétale, de minéralogie et d’anatomie comparée. .es examens ne sont pas organiser par branches, mais sur toute la matière en présence de l’ensemble des professeurs de la faculté.
Des orientations plus pratiques sont de plus enseignées comme l’hydraulique et l’hydrostatique, la chimie appliquée, l’agronomie trouvent place dans le programme de cours de la faculté des sciences. Pour répondre aux besoins de l’économie régionale, un cours de métallurgie est crée à l’université de Liège. Après quelques années, des cours de génie forestier et de génie minier sont ajoutés.
Lors de leur formation doctorale, les étudiants peuvent choisir une branche des sciences bien précise et cette spécialité est mentionnée dans le titre de docteur. Cela permet aux étudiants eux-mêmes de laisser paraitre leur préférence pour certains sujets sur lesquels ils sont examinés plus profondément. De plus, les candidats doivent présenter un certificat qui témoigne qu’ils ont suivi avec succès plusieurs cours à la faculté des arts.
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Le jardin botanique de l’université de Louvain en 1825. Source : A. de Marbaix dans : Châteaux et monuments des Pays-bas.
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Les facultés des sciences arrivent également au sens littéral au sein des universités : elles sont installées dans des bâtiments mis à leur disposition par la ville. À la faculté des sciences de Gand une chapelle est mise à disposition – du moins provisoirement -- au sein du Kortedagsteeg. Les Liégeois s’installent au cœur de la cité au sein de l’ancien collège jésuite. À Louvain les bâtiments mis à disposition pour la faculté des sciences sont éparpillés : le collège Marie-Thérèse pour la chimie, le collège royal pour la biologie et le collège des Prémontrés pour la physique.
À la demande du gouvernement, la ville doit également mettre des biens à disposition pour la constitution de collections scientifiques et de bibliothèques.
Cette disposition favorise la faculté des sciences . Ainsi, la ville de Louvain partage son jardin botanique municipal. À Liège, le soutien de la ville permet d’ériger un laboratoire de chimie et à partir de 1819, le jardin botanique est disponible pour les cours. À Gand, également, la faculté des sciences peut profiter pour les leçons de botanique d’un jardin botanique universitaire[1]. Les autorités communales gantoises mettent également une bibliothèque à disposition. Le transfère d’une collection d’instruments de physique et d’une collection anatomiques et de préparations pathologique est également disponible . Les trois universités bénéficient en outre de sommes importantes pour l’achat d’objets d’histoire naturelle.[2]
Les premiers scientifiques professionnels
Puisque, la science est une discipline universitaire autonome, cela signifie, qu’à partir de cette époque, un certain nombre de personnes peuvent être des professionnels de la science .
Parmi elles, douze personnes doivent être désignés pour que chaque université puisse engager quatre professeurs. Mais lors des débuts, il est impossible de trouver autant de scientifiques disponibles. Le gouvernement des Pays-Bas cherche alors avec vigueur les candidats adéquats.
Un bon professeur doit posséder un ou plusieurs diplômes d’une prestigieuse université, pouvoir mener une recherche scientifique en toute autonomie et pouvoir compter sur de longues années d’enseignement. De telles personnes sont extrêmement rares dans une région qui depuis plusieurs années est instable politiquement et où jusque là, aucune formation scientifique réelle n’existe.
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Jean Delvaux
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Jean Sentelet
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Jean-Baptiste van Mons
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Seules les personnes qui ont enseigné dans les écoles centrales, dans les lycées impériaux et dans les Facultés font exception. Non seulement ils possèdent l’expérience nécessaire en enseignement et ils sont les rares habitants des Pays-Bas méridionaux qui possède un doctorat obtenu à Louvain ou à l’étranger. [3] Men haastte zich dan ook ze opnieuw aan te werven. L’université d’état de Liège nomme le médecin et chimiste Jean Delvaux pour les cours de physique et de chimie et l’alumnus et mathématicien Jean Vanderheyden pour les branches de mathématiques du programme de cours liégeois. Le célèbre savant et polyglote Jean-Baptiste Van Mons est rapidemment recruté par l’université d’état à Louvain. Le physicien de 63 ans, Jean Sentelet, qui sous le gouvernement français avait enseigné à la Faculté de Bruxelles, reprend à l’université louvaniste une charge d’enseignement.
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Jacob van Breda
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Rijk (Richard) van Rees
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Pour les autres postes, le gouvernement néerlandais n’a pas d’autre choix de jouer les éclaireurs en dehors des frontières des Pays-Bas méridionaux . Cette importation de main d’œuvre étrangère reste en travers de la gorge de certains autochtones . Le son de cloche du gouvernement est différent, les autorités estiment que la science ne peut pas être freinée par une volonté d’isolement national . Idéalement, un petit pays, doit utiliser sa position au milieu de grande nation scientifiques pour tisser des liens et s’enrichir.
Mais les responsables politiques ont également un agenda politico-stratégique précis : en engageant des savants étrangers les autorités cherchent également à contrebalancer l’influence romane des Pays-Bas méridionaux. Les scientifiques du nord du royaume constituent dès lors les candidats idéaux. Ils introduisent le néerlandais dans l’enseignement du sud qui est francophone. [4] En 1820, le gouvernement propose au biologiste instruit à Leiden Jacob van Breda, un poste de professeur d’histoire naturelle à la faculté des sciences de l’[[université de Gand|université d’état de Gand] . À l’université de Liège, le mathématicien van Rees, tout jeune alumnus de Utrecht vient renforcer l’équipe.
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Heinrich Moritz Gaëde
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Franz Göbel
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Les scientifiques allemands sont sans doute encore plus appréciés. La culture des sciences germanique, la discipline intellectuelle stricte et la coordination synthétique des idées peuvent-être une manière de trouver une entrée dans les provinces méridionales et faire contrepoids à l’influence française. L’université de Gand offre une chaire au mathématicien formé à Tübingen, Johan Karl Hauff[5] et à Franz-Peter Cassel, un botaniste qui a obtenu un diplôme de docteur en médecine à Paris et qui a une expérience de plusieurs années comme professeur au gymnase. L’université de Liège, qui doit encore trouver un professeur pour la chaire de sciences naturelles.– Vanderheyden enseigne les branches mathématiques et Delvaux la physique et la chimie – recrute en 1818, le jeune Allemand de 23 ans, Heinrich Moritz Gaëde. Celui-ci est un tout nouveau docteur de l’université de Kiel, il a malgré son jeune âge, un certain nombre de publications scientifiques de renom à son nom, entre autres au sujet de l’anatomie des insectes. Ses capacités d’observation lors des dissections et son agilité avec le microscope sont saluées par ses professeurs. En 1825, le forestier de Heidelberg, Valentin Bronn rejoint l’équipe liégeoise. À Louvain, l’équipe jusque-là purement sud néerlandaise qui comprend van Mons et Sentelet se complète avec l’engagement du jeune philosophe et mathématicien Franz Jacob Göbel et – l’année académique suivante – le botaniste de Würzbur, Franz Adelmann. Celui-ci n’est cependant pas un pur ‘étranger’, Il habite en effet dans la région depuis trois ans et travaille vraisemblablement comme pharmacien en chef à l’hôpital Saint-Élisabeth d’Anvers.
Des débuts modestes
Malgré que la création de trois facultés des sciences à part entière soit une étape importante pour le développement de la science belge, leur taille dans cette période initiale ne doit pas être surestimée. Lors de la première année académique, les trois facultés comptent ensemble à peine huit professeurs. Ce nombre augmente pendant la décennie suivante pour atteindre un nombre encore modeste de onze professeurs ordinaires et deux professeurs extraordinaires en 1825.[6] Grâce à la politique stratégique et équilibrée de La Haye, ces équipes compte un nombre important de scientifiques de haut vol. L’expérience et les aptitudes de certains autres posent plus de questions quant à leur engagement.
En effet, le mathématicien français et ancien professeur de l’École Polytechnique Jean Garnier est un érudit de renom avec un talent pour l’élaboration de manuels scolaires. Et l’Allemand Gaëde est considéré comme un nouveau talent très prometteur. Mais Hauffs engagé pour donner les cours de physique et de chimie n’a pas les compétences requises. Son curriculum vitae et la liste de ses publications reflètent plutôt une spécialisation en mathématiques. Le tout jeune professeur louvaniste Göbel doit, au moment de son engagement pour occuper la chaire de mathématique, encore passer des examens de fin d’année et ne réussit pas en première session les épreuves de … mathématiques. Son compatriote Adelmann, commence son professorat apparemment sans doctorat. Quelques mois après sont engagement, il est promu docteur Honoris causa. De nombreux professeurs sont de plus très jeunes. En dehors des anciens professeurs des écoles centrales et des facultés, tous les professeurs qui enseignent dans la période 1817-1830 ont entre 23 en 35 ans. Un tiers du corps professoral à moins de 30 ans. Ces hommes ne sont donc pas beaucoup plus vieux que les étudiants à qui ils enseignent.
De leur côté, les étudiants en sciences n’ont pas toujours les connaissances requises pour suivre les mathématiques avancées de la formation universitaire. L’enseignement des mathématiques à longtemps été négligé dans l’enseignement secondaire. Cet écueil a des conséquences négatives sur la qualité de l’enseignement des mathématiques aux facultés des sciences. À partir de 1826, l’accès à l’université devient plus strict, et les candidats aux études doivent présenter un certificat de l’état de leurs connaissances en calculs, en algèbre (ils doivent être capables de résoudre des équations du second degré), en géométrie (ils doivent pouvoir mesurer un triangle rectiligne). S’ils ne peuvent présenter ce certificat, les candidats-étudiant doivent passer un examen d’entrée.[7] En parallèle, le programme de mathématiques des écoles secondaire et renforcé.
Les facultés des sciences sont principalement fréquentées par des étudiants que se destinent à l’étude de la médecine. Entre 1817 et 1834, 2627 étudiants au total suivent des cours dans l’une des trois facultés. En revanche, très peu sont intéressés par poursuivre par un doctorat. Les trois facultés diplôment ensemble à peine 35 docteurs.[8] Parmi ces 35 jeunes hommes se retrouvent ceux qui forment plus tard la première génération de savant internationaux qui représentent la Belgique. Il s’agit entre autres des alumni gantois Adolphe Quetelet, Jean Lemaire, Jean Timmermans et Daniel Mareska qui forment par la suite le panthéon des scientifiques belges. L’université de Liège diplôme de son côté, Martin Martens, Michel Gloesener, Joseph Plateau et Edouard Jacquemyns. Enfin les premiers étudiants de Louvain sont Pierre Hensmans, Jean Kickx, Jean-Servais Stas, Laurent-Guillaume De Koninck et Pierre Joseph Van Beneden. [9]
La fin des facultés de sciences
La révolution belge provoque une grande perturbation dans le paysage universitaire. Dans l’attente d’une réorganisation de l’enseignement universitaire, le nouveau gouvernement supprime les facultés des sciences de Louvain et de Gand. Seule Liège maintient sa faculté.[10] Avec la disparition de la faculté des sciences, une série de professeurs se retrouve sans chaire. Les plus âgés d’entre eux, comme Garnier et Hauff se retrouvent inactifs. [11] Van Mons accède à l’éméritat en 1835. D’autres partent volontairement. Dandelin quitte sa chaire de génie minier pour prendre part à la révolution comme commandant d’artillerie dans la garde de la ville. Certains licenciements sont néanmoins obligatoires et touchent particulièrement les chercheurs étrangers.
Les professeurs originaires des Pays-Bas du Nord sont victimes du climat anti-néerlandais et lors têtes tombées. À Liège, Van Rees est relevé de ses fonctions. Suite à une intervention de Guillaume Ier il est nommé à Utrecht. Van Rees garde cependant de bonnes relations avec la Belgique. La situation est différente pour Van Breda à Gand. Il se voit obliger de fuir la ville tête baissée en dépit de sa nouvelle nomination au poste de recteur de l’université. L’année suivante, il s’estime suffisamment en sécurité que pour revenir en Belgique pour récupérer ses manuscrits et ses recherches. Ce sentiment est pourtant trompeur, il manque de se faire arrêter in extremis.[12] Il règne en Belgique non seulement un sentiment anti-hollandais mais également anti-allemand– la maison de Oranje-Nassau ayant des racines germaniques. Goebel et Adelmann sont licenciés avec effet immédiat. Tous les deux retournent dans leurs pays. Les autorités de l’université de Liège proposent à Bronn de conserver la chaire de sciences forestières. Mais il choisit de retourner faire ses recherches dans sa ville natale qui est plus accueillante, et où il une proposition d’emploi l’attend à la nouvelle école de foresterie de l’Institut polytechnique de Karlsruhe.
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Michel Gloesener
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Gasparo Pagani
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Suite à tout ses licenciement et des départs, il ne reste à Liège que deux professeurs : le Belge Delvaux et l’Allemand, Gaëde. Les professeurs qui se retrouvent sans poste suite à la suppression des facultés des sciences de Gand et de Louvain, sont transférés à Liège pour occuper les postes vacants.
Gasparo Pagani est nommé pour les branches mathématiques, Michel Gloesener se charge des branches de et Jean Lemaire pour entre autres, l’algèbre, la géométrie et le calcul différentiel.
Avec la création des facultés des sciences à Gand et à Liège par le gouvernement belge en 1835 et déjà avant l’établissement de deux universités du réseau libre à Louvain et à Bruxelles, l’avenir de l’enseignement de sciences à l’université et de ses représentants est assuré.
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