Lemaître, Georges Henri Joseph Édouard (1894-1966)

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Lemaître et Albert Einstein. Source: Kragh, Helen, "Georges Lemaître, une figure de proue de la cosmologie",p. 123.

Cosmologiste et prêtre, né le 17 juillet 1894 à Charleroi et décédé à Louvain le 20 juin 1966. Lemaître est le créateur d’un modèle de l’expansion de l’Univers à partir d’un atome primitif, et est appelé pour cette raison le "père du Big Bang".


Biographie

Lemaître poursuit des études gréco-latines au Collège du Sacré-Cœur de Charleroi. Après une année de préparation en mathématiques et en physique au Collège Saint-Michel, il s’inscrit en 1911 à l’Université de Louvain en études d'ingénierie et de philosophie. Le 25 juillet 1913, il obtient son diplôme de candidature en ingénierie, et le 21 juillet 1914, son premier doctorat. Lorsque la Première Guerre Mondiale éclate, Lemaître se voit cependant forcé d’interrompre ses études ; il intègre volontairement l'armée et devient adjudant dans l'artillerie. Après la guerre, en avril 1919, le jeune homme reprend le fil de ses études, tout en s’inscrivant également à une formation de candidat en mathématiques et en physique. Le 27 novembre 1919 il obtient son baccalauréat en philosophie thomiste. Le 31 juillet 1920, enfin, il est promu docteur en mathématiques et en physique. Son promoteur était Charles-Jean de La Vallée Poussin. En octobre de la même année, il entre au séminaire de Malines, et le 22 septembre 1923 il accède à l'ordination.


En 1923, Lemaître est l'un des heureux élus invité à poursuivre ses études en Angleterre et aux Etats-Unis grâce aux fonds du Gouvernement Belge et de la Commission for Relief in Belgium Education Foundation. À l’Université de Cambridge, le jeune prêtre intégre en tant qu'étudiant-chercheur l'équipe d’Arthur Eddington (1882-1944). L'année suivante, Lemaître quitte Cambridge pour le Massachusetts, où, jusqu'en 1925, il prépare à l’Institute of Technology (M.I.T.) un doctorat consacré à The gravitational field in a fluid sphere of uniform invariant density according to the theory of relativity.[1] Il reçoit en conséquence, en juillet 1927, le titre de Ph.D en physique. Durant son séjour en Amérique, Lemaître travaille aussi quelque temps en tant que stagiaire à l’Observatoire d'Harvard et fréquente d'autres centres similaires. Il rencontre Edwin Hubble, et, au California Institute of Technology, Robert Millikan, un des pionniers de l’étude des rayons cosmiques. À l’Observatoire Lowell à Flagstaff (Arizona), il rencontre Vesto Slipher, qui avait découvert un décalage vers le rouge dans le spectre de la plupart des nébuleuses spirales (galaxies).


Après son retour, Lemaître est nommé professeur à temps partiel et ensuite professeur ordinaire à l’Université de Louvain. Le triple docteur y enseigne la relativité, l’histoire des mathématiques et de la physique et la méthodologie mathématique. C'est à Louvain qu’il travaille à son hypothèse d'un univers dynamique et en expansion, sujet de son article publié en 1927, et devenu par la suite célèbre Un Univers homogène de masse constante et de rayon croissant rendant compte de la vitesse radiale des nébuleuses extragalactiques.


Malgré sa nomination à Louvain, Lemaître séjourne encore de nombreuses fois aux États-Unis durant les années 1930. Un premier séjour, d’août 1932 à février 1933, est financé par le Commission for the Relief of Belgium. Lemaître séjourne dans un premier temps à l' Observatoire du collège d'Harvard et au M.I.T., mais après la Noël 1932, il se rend à Pasadena pour travailler au California Institute of Technology. Il y rencontre Albert Einstein (1879-1955). Après un court séjour à Louvain, Lemaître est invité de septembre 1933 à mars 1934 à la Catholic University of America, où il enseigne les applications astronomiques de la relativité. De septembre 1934 à juin 1935, le prêtre belge séjourne à la School of Mathematics de l’Institute of Advanced Studies de Princeton, où travaille Einstein. En février 1938, Lemaître revient encore en Amérique, cette fois comme professeur invité au département de Mathématiques de l’University of Notre-Dame du Lac dans l’Indiana. À la veille de la Seconde Guerre Mondiale, il revient à Louvain.


La Seconde Guerre Mondiale interrompt les contacts internationaux intenses de Lemaître. Avec sa famille, il tente de fuir, mais sans succès. Les dommages causés à sa maison par un bombardement le contraignent à déménager à Bruxelles. À la fin de juin 1940, l’Université de Louvain reprend le cours de son enseignement. La présence d’étudiants de l’ULB – l’université de Bruxelles avait fermé ses portes en novembre 1941 – entraîne cependant des tensions idéologiques ; l'intervention de Lemaître auprès du Recteur a pour effet de dispenser ces étudiants des obligations religieuses en usage. En 1964, Lemaître est admis à l'éméritat. À la fin de cette année, il est victime d'une crise cardiaque, à la suite de laquelle sa santé demeure précaire.


Lemaître, du temps où il est au séminaire, est membre de la Société scientifique de Bruxelles. Il est également membre du groupe Les Amis de Jésus, une fraternité de prêtres. Le 27 juillet 1935, il reçoit le titre de Chanoine honoraire du chapitre Saint-Rombaut à Malines. En 1933, Lemaître devient membre correspondant de l’Académie royale des Sciences et Belles-Lettres de Bruxelles, puis membre ordinaire en 1941 ; en 1949, il devient directeur de la Classe des Sciences. Le 1er juin 1937, il devient membre de l’Académie Pontificale des Sciences à Rome, dont il est président du 27 mars 1960 jusqu'à sa mort.[2] Enfin, le 9 juin 1939, il devient membre de la Société Astronomique de Londres. Il est Grand Officier de l’Ordre de Léopold.


Travaux

Le jeune Lemaître est fort intéressé par la théorie de la relativité d’Einstein, qui est toutefois peu connue dans le milieu des physiciens belges ; Théophile De Donder est le seul à l'étudier. Son école a donc également une influence importante sur Lemaître. Celui-ci étudie également diverses publications d’[[ Henri Louis Vanderlinden, parmi lesquelles La gravifique. Dans les années 1920 et 1930, Georges Lemaître a beaucoup séjourné à l'étranger et tissé des liens d'amitiés étroits avec Einstein, Dirac, Schrödinger, Hubble, Shapley, Eddington, Tolman et Russell. Il ne crée pas d'école de cosmologie, mais, par l'intermédiaire de ses collaborateurs et de ses étudiants, il laissera une empreinte durable sur la science belge. Parmi ses élèves, on retrouve Louis Bouckaert et Charles Manneback.”[3]


La Cosmologie physique, l’Univers en expansion et le Big Bang
Georges Lemaître est un pionnier de la cosmologie physique moderne. Il formule sa théorie de l’Univers en expansion en 1927, dans l'article Un Univers homogène de masse constante et de rayon croissant rendant compte de la vitesse radiale des nébuleuses extragalactiques. Dans cet article, il calcule également la constante décrivant le taux d'expansion de l'Univers. Sa thèse est dans un premier temps rejetée par Einstein, qui s'accroche à son propre modèle statique de l'Univers. L'article de Lemaître est, au début, peu remarqué par ses collègues. Le revirement se produit seulement en 1930 lorsque les observations de Hubble apportent la preuve de l’expansion de l’Univers. L’astronomie théorique est dès lors contrainte d’accepter que l’Univers n’est pas statique, comme on l'admettait jusque là. Avec la (re)découverte de la théorie de Lemaître émise en1927, la cosmologie subit un irréversible changement de paradigme. Lemaître devient immédiatement mondialement célèbre.[4]


Lemaître est en outre le premier à proposer, en 1931, un modèle de l’expansion de l’Univers à partir d'un atome primitif, dans le cadre de la théorie de la relativité générale d’Einstein. Dans ce modèle, l'univers a un âge limité et est apparu suite à l'explosion d'un atome primitif dans un passé lointain. Lemaître estime également que l’âge de l’Univers se situe entre 10 et 20 milliards d'années.[5] Lemaître introduit ici la physique quantique dans l'astrophysique, sa vision rejoignant étroitement la physique quantique de Niels Bohr. Cette contribution est à la base de la théorie de l'atome primitif, qu'il approfondit encore avec succès dans son article L’univers en expansion. Dès lors, Lemaître reçoit la reconnaissance internationale. Sa théorie devient célèbre sous le nom de la théorie du « Big Bang ». Cependant, elle suscite aussi un débat entre foi et science. En tant que prêtre, Lemaître est forcé à maintes reprises de mettre en évidence la distinction entre son travail scientifique et sa foi. D'un point de vue personnel, il ne souhaite pas que son hypothèse de l'atome primitif soit utilisée contre le concept théologique de la création.[6]


Lemaître, qui est également intéressé par les rayons cosmiques, dédie une quinzaine d’articles à l'étude de leurs trajectoires dans le champ magnétique terrestre, de 1933 à 1955.[7]


Après sa mort , le rôle que Lemaître a joué dans le développement de la nouvelle vision de l'Univers demeure longtemps méconnu. Les hypothèses de l'Univers en expansion et de la constante (la «Constante de Hubble ») sont attribuées à Hubble. En dehors de Louvain, les théories cosmologiques de Lemaître reçoivent pendant longtemps très peu d'attention de la part du milieu scientifique belge. C'est seulement depuis les années 1980 que son nom apparaît à nouveau dans l'histoire des sciences, et que son oeuvre pionnière est de plus en plus reconnue.


Publications mathématiques
Après la Seconde Guerre mondiale, Lemaître tourne son attention vers les problèmes des corps célestes et des méthodes numériques. Il est à la base du développement du Centre de calcul de l'Université de Louvain. En 1958, il achète un premier ordinateur pour l'université.[8] Il apporte également sa contribution aux mathématiques, entre autres au sujet de la théorie des intégrales elliptiques, de l'analyse numérique, de l'arithmétique élémentaire et de la mécanique théorique. Sa thèse de doctorat portait sur l'approximation des fonctions de plusieurs variables par des polynômes. « L'étude du mouvement de trois masses ponctuelles soumises à la loi de gravitation de Newton conduit à un système d'équations différentielles, présentant des singularités qui correspondent à des collisions entre les corps. La régularisation de ce problème consiste en l'introduction de coordonnées nouvelles qui font disparaître les chocs doubles. Un tel système de coordonnées a été introduit par Lemaître entre 1952 et 1954 et porte son nom ». Passionné par les calculatrices électroniques, il est également intéressé par l'apprentissage des techniques de calcul élémentaire, et a suggéré l'utilisation de nouveaux chiffres.[9]


Les recherches de Lemaître sont couronnées par divers prix et reconnaissances. En 1934, il reçoit le premier Prix Francqui de mathématiques, physique et chimie. La même année, il est le premier lauréat de la médaille Mendel. Le 30 mai 1934, il reçoit un doctorat honoris causa de l'Université McGill (Montréal). Le 10 juin 1936, il est lauréat du Prix Janssen de la Société Astronomique de France. En 1950, il reçoit du gouvernement belge le prix décennal de mathématiques appliquées pour la période 1933-1942. Enfin, en 1953, il reçoit la première médaille Eddington, décernée par la Royal Astronomical Society.[10]


Publications


Bibliographie

  • BRIEN, Paul, "Georges Lemaître", in: Florilège des sciences en Belgique pendant le 19e et le début du 20e, Bruxelles : Académie royale de Belgique Classe des sciences, 1968, 97-113.
  • MANNEBACK, Charles, "Notice sur Monseigneur Georges Lemaître membre de l’Académie", in: Annuaire de l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, 1974, 87-115.
  • MANNEBACK, Charles, "Lemaître (Georges-Henri-Joseph-Édouard, Mgr", in: Biographie nationale, t. 38, col. 453-465.
  • "G.Lemaître", in: Cent Wallons du siècle, Charleroi: Institut Jules Destrée, 1995.
  • STOFFEL, Jean-François Stoffel (éd.), Georges Lemaître, savant et croyant. Actes du colloque tenu à Louvain-la-Neuve le 4 novembre 1994 [suivi de] La physique d'Einstein, texte inédit de Georges Lemaître, Turnhout : Brepols, 1996.
  • LAMBERT, Dominique, "Monseigneur Georges Lemaître et le débat entre la cosmologie et la foi", in: Revue Théologique de Louvain, 28 (1997), 28-53 et 227-243.
  • LUMINET, Jean-Pierre, L'invention du big bang, Paris : Éditions du Seuil, 1997.
  • LAMBERT, Dominique, Un atome d'univers, Bruxelles: éditions Lessius, éditions Racine, 2000.
  • KRAGH, Helge, "En exergue de la cosmologie: Georges Lemaitre", in: Histoire des sciences en Belgique, 1815-2000 sous la dir. De Robert Halleux, t. 2, Bruxelles, Dexia/La Renaissance du Livre, 2001, 123-130. (version numérisé uniquement en néerlandais!)
  • LAMBERT, Dominique, "Temps et Création. Quelques remarques à partir de la cosmologie de Georges Lemaître", in: Théophilyon, t.6, 2001, 375-393.
  • "Lemaître, le père du Big Bang", in: Les génies de la sciences, avril 2007.
  • ROMBAUT, Hans en WAELKENS, Christoffel, "Georges Lemaître", in: Nationaal Biografisch Woordenboek, vol.19, Bruxelles, 2009, kol. 585-609.
  • NUSSBAUMER H., BIERI, L., Discovering the Expanding Universe, Cambridge University Press, 2009.
  • LIVIO, Mario, "Mystery of the missing text solved", in: Nature, 479 (2011), 171–173.


Notes

<references>
  1. Kragh, Helen,"En exergue de la cosmologie: Georges Lemaitre", in: Histoire des sciences en Belgique, 1815-2000 sous la dir. De Robert Halleux, t. 2, Bruxelles, Dexia/La Renaissance du Livre, 2001, 123.
  2. Rombaut, Hans & Waelkens, Christoffel, "Georges Lemaître", in: Nationaal Biografisch Woordenboek, vol.19, Bruxelles, 2009, kol. 585-609.
  3. Kragh, Helen,"En exergue de la cosmologie: Georges Lemaitre", in: Histoire des sciences en Belgique, 1815-2000 sous la dir. De Robert Halleux, t. 2, Bruxelles, Dexia/La Renaissance du Livre, 2001, 130.
  4. Marage, Pierre, "Eléments d’histoire du développement de la physique nucléaire et des particules élémentaires en Belgique", in: : Histoire des sciences en Belgique, 1815-2000 sous la dir. De Robert Halleux, t. 2, Bruxelles, Dexia/La Renaissance du Livre, 2001, 86.
  5. Kragh, Helen,"En exergue de la cosmologie: Georges Lemaitre", in: Histoire des sciences en Belgique, 1815-2000 sous la dir. De Robert Halleux, t. 2, Bruxelles, Dexia/La Renaissance du Livre, 2001, 123.
  6. Rombaut, Hans & Waelkens, Christoffel, "Georges Lemaître", in: Nationaal Biografisch Woordenboek, vol. 19, Bruxelles, 2009, 585-609.
  7. Marage, Pierre, "Eléments d’histoire du développement de la physique nucléaire et des particules élémentaires en Belgique", in: : Histoire des sciences en Belgique, 1815-2000 sous la dir. De Robert Halleux, t. 2, Bruxelles, Dexia/La Renaissance du Livre, 2001, 86.
  8. Rombaut, Hans & Waelkens, Christoffel, "Georges Lemaître", in:Nationaal Biografisch Woordenboek, vol.19, Bruxelles, 2009, 585-609.
  9. Mawhin, Jean, "Les mathématiques", in: Histoire des sciences en Belgique, 1815-2000 sous la dir. De Robert Halleux, t. 2, Bruxelles, Dexia/La Renaissance du Livre, 2001, 77.
  10. Rombaut, Hans & Waelkens, Christoffel, "Georges Lemaître", in:Nationaal Biografisch Woordenboek, vol.19, Bruxelles, 2009, 585-609.